Est-il possible d'être gay et croyant en 2016 ?
Au rythme de un par quinzaine, vous seront présentés plusieurs témoignages guidés par un questionnaire en neuf points laissant toutefois la possibilité d'aménager les réponses librement. Autant de parcours de vie, tous différents - voire totalement contradictoires - de personnes venues d'horizons assez variés et croyantes à divers degrés. Des identités singulières.
L'objet de cette série de billets n'est certainement pas de faire un quelconque prosélytisme - il suffira de lire pour s'en rendre compte - ni de clore un débat bien trop vaste.
Seulement d'essayer d'apporter des éléments de réponse à une question complexe et que je trouve passionnante.
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Sofian
1. Peux-tu te présenter ? Âge, profession (quelques mots pour décrire ce que tu fais), où tu habites, où tu as grandi.
J'ai 33 ans. Je suis assistant RH dans le Retail. J'ai grandi et habite toujours en banlieue parisienne, dans une de ces villes faites de barres HLM et de groupes de garçons qui tiennent les murs.
2. A quels moments de ta vie as-tu compris puis accepté ton homosexualité ? Quel a été ou quel est ton cheminement ?
Je n'ai pas forcément mis de mot dessus avant un certain âge mais déjà très jeune j'aimais les garçons. Pour moi c'était naturel et je ne me posais pas de questions (d'ailleurs à cet âge, on ne connait pas tout ces mots). Je me souviens d'amoureux en maternelle par exemple.
En grandissant, j'ai compris que j'étais différent et que ce que je pensais naturel ne l'était pas pour tout le monde. Là j'ai d'abord appris que j'étais une lavette (école primaire) avant de devenir une tapette (collège) puis une pédale (lycée).
Je n'ai jamais souhaité en parler. Je me faisais insulter quotidiennement et j'avais peur que cela aggrave les choses. Je devais me battre souvent pour me défendre.
Je n'ai donc partagé avec personne qui j'étais. Mais je ne prétendais pas non plus aimer les filles. J'étais terrifié que l'on me pose la question.
Au lycée, j'ai commencé à envisager de me confier à des amis. Mais à chaque fois que je souhaitais le faire, je me disais que je ne pouvais pas avoir confiance. Alors j'ai attendu.
Ce n'est qu'à la fac que je me suis finalement ouvert. J'ai rencontré celles qui sont, toujours depuis, mes meilleures amies, ma famille, et cela a été une libération.
3. Es-tu out ? Auprès de ta famille ? de tes amis ?
Je suis presque entièrement out depuis 2001.
J'ai annoncé à ma mère un soir de novembre 2000 que j'étais amoureux des garçons. Ca n'a pas été un coming out évident à faire mais je savais que je devais d'abord lui annoncer à elle avant de penser le dire à d'autres personnes.
Comme la discussion s'est suivie d'une année pendant laquelle elle a tenté de me ramener dans le droit chemin, je l'ai refait une année après. A ceci près que le lendemain de notre discussion j'avais mon premier rendez-vous avec un garçon.
Peu de temps après donc, je l'ai annoncé à mes amies. C'était complètement naturel. J'avais eu l'impression d'avoir attendu de sortir avec un garçon pour enfin me dire homosexuel.
Ensuite, je ne l'ai plus caché. Mais je ne l'ai plus annoncé non plus. Cela suivait parfaitement ce que j'en pensais. C'était naturel. Et comme un hétérosexuel ne se présente jamais en disant « salut, je suis X, j'ai 23 ans et je suis hétérosexuel ! », pour moi c'était la même chose.
Mes frères l'ont appris parce que je ne l'ai plus caché (et donc plus vidé l'historique de l'ordinateur familial...). Et concernant mon père c'est un petit peu plus compliqué.
Ancienne génération algérienne, religion plus pudeur sur le sujet de la sexualité, je n'ai jamais souhaité lui dire. J'ignore s'il y pense. On a cette qualité en commun d'être particulièrement naïf tous les deux et un peu tête en l'air.
Je me suis vite engagé dans la vente et j'avoue que cela a aussi été ma chance. Je n'ai du coup jamais eu besoin de me cacher à mon travail. Et cela m'a également permis de m'épanouir. Je n'ai jamais vécu d'homophobie au travail.
4. As-tu grandi dans une famille religieuse ? Fêtiez-vous les fêtes religieuses ? Respectais-tu et respectes-tu Ramadan ?
J'ai grandi dans une famille musulmane et je suis donc comme beaucoup de jeunes maghrébins devenu musulman simplement en respectant les traditions, presque par mimétisme de mes parents.
J'ai eu deux modèles différents. Ma Mère, très occidentale prônant une religion ouverte et spirituelle, et mon Père plus respectueux des règles mais néanmoins bien plus ouvert que ce que l'on peu entendre ou voir aujourd'hui. J'ai donc très vite appris qu'il y avait plusieurs types de musulmans possibles. Et je n'avais qu'à choisir celui que je souhaitais être ; du plus rigoureux/pratiquant au plus spirituel.
Je fais le Ramadan tous les ans. Et je ne m'imagine pas ne pas le faire. Plus, en tout cas. Pendant deux ans, il y a quelques années, j'ai mis ma religion en suspend parce que gays comme musulmans me demandaient de choisir et me disaient que je ne pouvais pas être les deux. Cela a été extrêmement dur pour moi parce que je me suis retrouvé dépossédé d'une partie de moi.
5. Quelle importance revêt la religion dans ta vie actuelle ?
C'est une partie de moi.
Je suis très spirituel. Je fais partie de ceux qui ont plus la Foi en quelque chose/quelqu'un qu'en des dogmes particuliers. Je suis cependant né dans une famille musulmane et pour moi, c'est mon héritage.
J'ai toujours vu ma religion, et mes origines, comme un héritage culturel. Et je suis fier d'avoir cette petite chose en plus. On m'a souvent reproché cette fierté. Mais c'est exactement la même fierté que je ressens dans le fait d'être homosexuel. Et si je défile une fois par an lors d'une Gay Pride, on ne peut pas m'empêcher d'être fier d'être musulman également. Ma Muslim Pride à moi.
6. La religion a-t-elle été ou est-elle un frein à ton acceptation ? Explique pourquoi.
Étonnamment, la Religion n'a jamais été un frein à mon acceptation. Pour moi, c'est qui je suis. Et je ne me suis jamais posé la question de savoir si je pouvais être les deux.
J'ai grandi en laissant la place aux deux de s'épanouir et jamais aucune n'est entrée en conflit avec l'autre.
En réalité, ce sont les gens qui chaque fois ont tenté de m'empêcher d'être les deux, en me disant que le monde était noir ou blanc et que je ne pouvais pas être gris. Que c'était contradictoire.
7. Gay et croyant, comment concilies-tu cette contradiction apparente ? Y parviens-tu ? Quel a été ton cheminement ?
En réalité, je ne vois pas de contradiction. C'était naturel. Je suis né ainsi. Et je suis croyant. Dieu m'a crée comme il a souhaité que je sois. Je ne vois donc pas pourquoi je devrais changer.
Je suis les deux. Et encore plus que cela. Je ne me définis pas uniquement comme gay et/ou musulman. Je suis brun, souriant et gentil. Et pour moi ce n'est pas contradictoire d'être brun, souriant et gentil. Donc le reste non plus.
8. Comment perçois-tu le discours et le positionnement des autorités religieuses, globalement peu favorable aux homosexuels ?
Je pense que mon épanouissement est dû à la façon dont je vis ma religion. Les Textes sont là et ont été écrits à une époque très lointaine. Nous sommes des centaines d'années après. Et selon moi, nous devons évoluer.
C'est l'enseignement que j'ai reçu de ma famille, dans laquelle les rôles traditionnels sont inversés. Mon Père est le maître de Maison (repas et ménage) et ma Mère celle qui régit le tout. Mon Père n'a jamais voulu que ma Mère se couvre la tête. Et il n'aurait de toute façon jamais pu lui demander.
La Religion est au dessus de tout. Elle est là pour nous guider à faire le Bien. Je ne vois pas ce que les homos font de mal. Lorsque l'on dit que la Religion est Amour, on n'empêche pas des gens qui s'aiment de vivre.
A vrai dire, ces dernières années, je fais surtout face à l'intolérance grandissante des gays. Qu'il s'agisse des réseaux sociaux ou même lors de conversations, je me heurte de plus en plus à l'islamophobie. Et si au départ, je voulais l'excuser parce que, oui, les religions peuvent être intolérantes, aujourd'hui, je ne l'excuse plus parce que nous devrions être davantage ouverts et tolérants. C'est comme tous ceux qui reprochent aux blacks d'être homophobes parce qu'en tant que minorité réprimée, elle ne devrait pas s'en prendre aux gays. J'ai envie de dire aux gays qu'il faut se dire qu'il s'agit du même combat. Celui de la Tolérance.
Je connais aujourd'hui plus de musulmans ouverts que de gays tolérants. J'unfollow de plus en plus sur Twitter et j'ai fini par également dire au revoir à des personnes que j'aimais bien parce qu'elles avaient de plus en plus un discours limite.
9. Être croyant, c'est pour toi un avantage ou un inconvénient ? En somme, que t'apporte ta religion ?
La Religion me complète et me donne aussi ce petit côté folklorique, je dois bien l'avouer. Dans un monde de plus en plus athée, j'ai envie de croire en Quelqu'un/Quelque chose de supérieur.
Les gens sont tellement déçus des politiciens qu'ils n'aiment plus la politique. Je vois la religion de la même manière. Les Religieux (ceux que l'on voit partout tout du moins) ne donnent pas envie de les rejoindre, de croire, parce qu'ils ont une conception tellement rigide de la croyance qu'ils rebutent les autres.
Je reste convaincu que la Foi et la spiritualité pourraient aider beaucoup de jeunes LGBT dans les moments durs. Mais je comprends aussi pourquoi beaucoup d'entre eux les rejettent. Parce que tout simplement ils ont en face d'eux des gens qui les rejettent également.
Je vois ma religion comme un avantage. Même s'il est de plus en plus ennuyeux d'entendre tout ce que l'on en dit aujourd'hui. Je ne la verrai jamais comme un inconvénient même si c'est dur d'être musulman aujourd'hui.
Après des années à faire accepter ma part homosexuelle, j'ai l'impression que le moment est venu de devoir maintenant me battre pour ma part musulmane/religieuse. Et le rejet dont je parlais tout à l'heure en parlant des jeunes LGBT, je commence à le sentir mais vis à vis de mon côté musulman.
Toujours est-il que si je suis né gay (et que je ne l'ai pas choisi), j'ai choisi d'être musulman. Et je n'abandonnerai jamais aucune de ces deux identités.
Merci Sofian
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A relire sur Identités singulières :