Posté pile face à la sortie du métro, pour être sûr de le voir sortir et être certain de bien percevoir sa réaction lorsqu'il me verrait, je suis un peu en avance sur l'heure de notre rendez-vous. Ce n'est pas grave car je ne voulais pas être en retard, surtout pas ce jour là. Ho que non.
Quelques minutes plus tard mon téléphone sonne, il est arrivé, il ne me voit pas, ni moi non plus. Normal : nous nous attendons à des sorties différentes de la même station. Je ne le verrai donc pas le premier, mon plan est un échec.
Il n'est pourtant pas loin, juste de l'autre côté. Mon estomac se noue, mon coeur s'emballe un peu plus, mes pensées tourbillonnent, mes jambes avancent toute seules. Je suis partagé entre l'envie de fuir à toute vitesse et celle de le revoir, enfin...
Oui, le revoir, nous revoir, après quatre ans et deux mois.
Quatre ans et deux mois durant lesquels je n'ai cessé de penser à lui, durant lesquels il a souvent pensé à moi.
Cela fait quelques mois que nous avions décidé de cette rencontre. Nous en avions très envie tous les deux. Peut-être surtout en avions nous besoin. Nous revoir, après tout ce temps... Car, non, avec
le temps tout ne s'en va pas.
Soudain je l'aperçois, il me reconnaît, je lui souris, nous voici face à face...
On se fait la bise, on se sourit, un peu gênés, un peu mal à l'aise. Il n'a pas beaucoup changé. Il est plus mec, plus mûr, mais toujours aussi beau qu'avant, très élégant. Et son regard, le même dans lequel j'aimais à me perdre jusqu'à l'ivresse.
Nous marchons en bavardant. Même si nous feignons tous les deux le contraire, nous cherchons un nouvel équilibre pour dissiper ce flou étrange qui nous enveloppe. Peu à peu les mots trouvent leur rythme.
Nos pas nous guident sur les quais de la Seine. Nous nous asseyons sur les berges, côte à côte. Il fait très beau, le soleil déclinant fait scintiller le fleuve, l'air est doux. Au loin la fête bat son plein devant l'Hôtel de Ville. C'est une très belle soirée.
Accroupi, il tire de son sac à dos une bouteille de crémant d'Alsace, sa patrie d'adoption, deux verres et des pistaches. Il avait tout prévu : ce ne devait pas être de simples retrouvailles. Non, c'était bien plus que cela...
Le bouchon saute, les verres se remplissent de bulles, on trinque, "à nous". Un "nous" qui ne sera jamais plus ce "nous" d'antan. L'air est délicieux, la lumière sublime. Les bulles délient les esprits et libèrent la parole. On se remémore le temps passé, les bons moments comme ceux d'après.
Au milieu de notre conversation, je lui dis : "
J'ai quelque chose pour toi".
Joignant le geste à la parole, j'extirpe de mon sac un objet qu'il reconnaît immédiatement. Il était étonné que je l'aie encore : un short de bain orange. Son short, oublié chez moi lors de son dernier passage et que je conservais soigneusement dans mon armoire sans ne m'être jamais résolu à le jeter. Par ce que, contrairement à nos photos que j'avais détruites pour mieux l'oublier, il était à lui ce short, il ne m'appartenait pas.
"Tu me le rendras la prochaine fois qu'on se verra !" m'avait-il alors dit. Nous ignorions à cet instant que cette prochaine fois serait celle-ci.
Aussi attendait-il son heure dans mon armoire, dernier vestige tangible de notre impossible histoire, comme une relique sainte dont on craint révérencieusement le blasphème. Mais peut-être aussi parce que, plus ou moins inconsciemment, m'en débarrasser revenait symboliquement me débarrasser de lui, à le jeter à la poubelle comme on jette une vieille chose qui n'exprime plus rien... Et puis j'avais promis de le lui rendre, ce short. Alors non, je ne pouvais pas le jeter. Cela m'était impossible.
Après l'avoir pris dans ses mains, il l'a déballé et m'a remercié, un peu tourneboulé par cet objet surgissant du passé : "C'est comme un cadeau que tu me fais".
On se raconte nos vies très librement, on parle de nos projets, présents et à venir. Il fait part de ses amours, ses envies, ses doutes. Je retrouve en lui cette même volubilité mêlée de pudeur qui m'avait déjà marqué par le passé. Puis il revient sur cet appel désespéré de juin 2011 : "Dans ma tête tu étais le seul à pouvoir me sortir de là"... Peu à peu on retrouve nos marques, on se détend. Nous avons ri...
Avant de nous séparer à l'heure du dernier métro, je n'ai pu réprimer l'envie de le prendre dans mes bras, une dernière fois, la première depuis quatre ans. On s'est dit à bientôt, avec la certitude que rien ne serait plus jamais comme avant. Comme une sensation de boucle qui s'achève, le début d'un véritable après... d'un chapitre qui se clôt et d'un nouveau qui commence.
De même, il est également certainement trop tôt pour mesurer toute la valeur symbolique que revêt la restitution de ce short. Ce short orange, dont la couleur acidulée plus jamais ne percera au milieu de mon placard... Car quoiqu'il n'y ait plus rien entre nous et que je n'aie ressenti ce soir là aucun désir à son égard, je lui conserve néanmoins une infinie tendresse, comme un petit frère. Et demeure l'assurance qu'un lien indéfectible nous unira à jamais.