Vendredi soir je me trouvais au Théâtre du Capitole pour assister à une représentation de Medea sur une musique de Pascal Dusapin et une chorégraphie de Sasha Waltz. Pour vous donner quelques repères et mettre grossièrement l'oeuvre dans son contexte, Pascal Dusapin est un compositeur né à Nancy en 1955, ayant bénéficié pendant ses jeunes années de l'influence de Xenakis, aujourd'hui bien installé sur la scène musicale internationale et récipiendaire de plusieurs distinction et prix internationaux récompensant ses travaux sur la musique contemporaine. Sasha Waltz quand à elle a créé ses chorégraphies sur les planches des plus grandes scènes lyriques d'Europe et collabore régulièrement avec les figures emblématiques de la musique contemporaine.
Medea, présentée vendredi soir au Théâtre du Capitole, est une commande effectuée par Bernard Focroulle, immense musicien (son intégrale de l'oeuvre d'orgue de Buxtehude est hautement recommandable, celle de Bach est trop cérébrale à mon goût) et directeur du Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Le cahier des charges indiquait que l'oeuvre devait être exécutée immédiatement après Didon & Aeneas de Purcell, au Théâtre de la Monnaie en 1992. Medea est donc une oeuvre plutôt concise (à peine plus d'une heure) faisant appel à un orchestre baroque utilisant un tempérament ancien permettant de différencier un do dièse d'un ré bémol. Sur scène une soprano coloratur récitante incarne Medea, et des danseurs.
Je ne parlerai pas de la représentation à proprement parler car ne je suis pas certain de maîtriser les ressorts de la musique contemporaine assez parfaitement pour me livrer à l'exercice d'une critique un tant soit peu objective. Un texte ancré dans la noirceur la plus absolue, une Médée un peu hallucinée, aux confins de la folie vengeresse, articulant chaque mot un à un, sur une musique toute en tensions et des corps qui fendent l'air, virevoltent, s'agglutinent, se disloquent. Tout cela était superbe. Si j'ai appris une chose, c'est qu'être aux premières logues - au sens littéral du terme pour le coup ! - ne permet pas de profiter pleinement du spectacle scénique. Finalement, en dépit d'un coté inattendu, parfois déroutant, j'ai passé un très agréable moment. Et pas seulement grâce à cerhâââââ lovely très mignon petit danseur, vraisemblablement colombien, dont j'aurais volontiers fait mon quatre-heure et toutes les heures du cadran et qui a constitué à lui seul à mes yeux un spectacle dans le spectacle.
Tandis que je me dirigeais vers le métro, m'accompagnèrent sans le savoir deux personnes qui visiblement venaient d'assister au même spectacle que moi, avec nettement moins de conviction. Déjà dans ma loge en début de représentation, deux petites mamies avaient furtivement échangé un "C'est spécial" qui en disait long sur leur incrédulité. Cette fois-ci dans la rue, les langues étaient autrement plus déliées. Le jeune homme se lamentait auprès de sa compagne des stridulations dissonantes des cordes, des accords étranges joués par l'orgue, des mélismes décharnés de Médée. Bref, nous n'avions visiblement pas passé la même soirée et, tandis qu'elle paraissait plus conciliante, lui semblait vilipender la musique contemporaine dans sa généralité, mimant au passage le grincement des archets couinants.
Ho c'est sûr on n'avait pas affaire au coussin des harmonies confortables d'un Poulenc et le langage musical a tout de même bien évolué depuis Prokofiev. Et même si je suis de longue date attiré par la musique contemporaine, j'admets qu'il arrive régulièrement que ça frotte, que ça pique et gratte parfois très fort au point de souhaiter que le supplice se termine au plus vite. J'ai notamment souvenir d'un concert, une création de Requiem, dans le cadre d'un fameux festival dans le Comminges, qui fut un calvaire. Demandez son avis à Méchant Chimiste pour voir... J'ai un autre souvenir de création dans une insigne basilique Toulousaine, encore un Requiem - a croire que les harmonies contemporaines ne trouvent pas grâce à mes oreilles face à ce monument d'art sacré - qui fut aussi un morceau de bravoure non seulement pour les interprètes, mais aussi - et surtout - pour l'auditoire qui, une fois le dernier accord posé, a promptement fui les lieux sans demander son reste.
Plongé dans mes pensées et songeant au mimiques de cet auditeur déçu, me revint alors en mémoire le titre d'un ouvrage que je conserve précieusement dans ma bibliothèque : Pour ou contre la musique moderne ?
Pour ou contre la musique moderne ? de Bernard Gavoty et Daniel Lesur paru en 1957, compilation d'entrevues radiophoniques de compositeurs contemporains de l'époque dont le nom de certains est aujourd'hui mondialement connu et reconnu : Olivier Messiaen, Henri Dutilleux, Maurice Jarre, Georges Enesco, Pierre Schaeffer... parmi d'autres. Véritable plaidoyer en faveur d'une musique contemporaine alors en disgrâce de la part d'un auditoire perdu,entre expérimentations hasardeuses et insondable cartographie mathématique de l'échelle des sons inaccessible au commun des mortels , les auteurs dressaient en un très long prologue à leur ouvrage, le constat suivant :
Alors ? Pour ou contre la musique contemporaine ?
Medea, présentée vendredi soir au Théâtre du Capitole, est une commande effectuée par Bernard Focroulle, immense musicien (son intégrale de l'oeuvre d'orgue de Buxtehude est hautement recommandable, celle de Bach est trop cérébrale à mon goût) et directeur du Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Le cahier des charges indiquait que l'oeuvre devait être exécutée immédiatement après Didon & Aeneas de Purcell, au Théâtre de la Monnaie en 1992. Medea est donc une oeuvre plutôt concise (à peine plus d'une heure) faisant appel à un orchestre baroque utilisant un tempérament ancien permettant de différencier un do dièse d'un ré bémol. Sur scène une soprano coloratur récitante incarne Medea, et des danseurs.
Je ne parlerai pas de la représentation à proprement parler car ne je suis pas certain de maîtriser les ressorts de la musique contemporaine assez parfaitement pour me livrer à l'exercice d'une critique un tant soit peu objective. Un texte ancré dans la noirceur la plus absolue, une Médée un peu hallucinée, aux confins de la folie vengeresse, articulant chaque mot un à un, sur une musique toute en tensions et des corps qui fendent l'air, virevoltent, s'agglutinent, se disloquent. Tout cela était superbe. Si j'ai appris une chose, c'est qu'être aux premières logues - au sens littéral du terme pour le coup ! - ne permet pas de profiter pleinement du spectacle scénique. Finalement, en dépit d'un coté inattendu, parfois déroutant, j'ai passé un très agréable moment. Et pas seulement grâce à ce
[De taille moyenne, une épaisse chevelure de jais coordonnée à une barbe soignée taillée de près, une peau d'ambre, un grand sourire et des yeux qui pétillent... c'est tout ce qu'il faut pour me faire craquer. C'est étonnant comme mon regard est toujours magnétisé par le même genre de garçon. ]Au moment des saluts finaux, après que la troupe de danseurs et Caroline Stein ont reçu un flot d'applaudissements fournis amplement justifiés, alors que Pascal Dusapin montait sur scène, j'eus la surprise d'entendre fuser quelques cris et sifflets de désapprobation. Tiens tiens, ça sent doucement le scandale et la castagne, une vague odeur de souffre, mais d'une toute autre veine que celle ayant pu irriguer la création de quelques unes des pages qui apparaissent aujourd'hui comme les plus magistrales du répertoire, mais aussi peut être beaucoup de navets. Pour ma part j'applaudissais satisfait de ma soirée, les oreilles et les yeux encore sous le charme.
Tandis que je me dirigeais vers le métro, m'accompagnèrent sans le savoir deux personnes qui visiblement venaient d'assister au même spectacle que moi, avec nettement moins de conviction. Déjà dans ma loge en début de représentation, deux petites mamies avaient furtivement échangé un "C'est spécial" qui en disait long sur leur incrédulité. Cette fois-ci dans la rue, les langues étaient autrement plus déliées. Le jeune homme se lamentait auprès de sa compagne des stridulations dissonantes des cordes, des accords étranges joués par l'orgue, des mélismes décharnés de Médée. Bref, nous n'avions visiblement pas passé la même soirée et, tandis qu'elle paraissait plus conciliante, lui semblait vilipender la musique contemporaine dans sa généralité, mimant au passage le grincement des archets couinants.
Ho c'est sûr on n'avait pas affaire au coussin des harmonies confortables d'un Poulenc et le langage musical a tout de même bien évolué depuis Prokofiev. Et même si je suis de longue date attiré par la musique contemporaine, j'admets qu'il arrive régulièrement que ça frotte, que ça pique et gratte parfois très fort au point de souhaiter que le supplice se termine au plus vite. J'ai notamment souvenir d'un concert, une création de Requiem, dans le cadre d'un fameux festival dans le Comminges, qui fut un calvaire. Demandez son avis à Méchant Chimiste pour voir... J'ai un autre souvenir de création dans une insigne basilique Toulousaine, encore un Requiem - a croire que les harmonies contemporaines ne trouvent pas grâce à mes oreilles face à ce monument d'art sacré - qui fut aussi un morceau de bravoure non seulement pour les interprètes, mais aussi - et surtout - pour l'auditoire qui, une fois le dernier accord posé, a promptement fui les lieux sans demander son reste.
Plongé dans mes pensées et songeant au mimiques de cet auditeur déçu, me revint alors en mémoire le titre d'un ouvrage que je conserve précieusement dans ma bibliothèque : Pour ou contre la musique moderne ?
Pour ou contre la musique moderne ? de Bernard Gavoty et Daniel Lesur paru en 1957, compilation d'entrevues radiophoniques de compositeurs contemporains de l'époque dont le nom de certains est aujourd'hui mondialement connu et reconnu : Olivier Messiaen, Henri Dutilleux, Maurice Jarre, Georges Enesco, Pierre Schaeffer... parmi d'autres. Véritable plaidoyer en faveur d'une musique contemporaine alors en disgrâce de la part d'un auditoire perdu,entre expérimentations hasardeuses et insondable cartographie mathématique de l'échelle des sons inaccessible au commun des mortels , les auteurs dressaient en un très long prologue à leur ouvrage, le constat suivant :
« (...) Comment faire un choix parmi tant de musiciens et d'ouvrages qui vont du meilleur au pire, du conformisme à l'outrancier et du chef-d'oeuvre à l'expérience de laboratoire ? Pour nous, auditeurs, la difficulté est de distinguer la bonne musique de la mauvaise. Sur cent concertos modernes, il n'y en a peut être qu'un seul d'excellent. Et le malheur veut, précisément, que les quatre-vingt-dix-neuf mauvais cachent le centième, qui est bon.»
Le problème est de tous les temps. A toute époque, il y a eu, cote à cote, des retardataires et des précurseurs, des hommes de génie et des artiste médiocres. C'est, en principe, le rôle de la critique de distinguer et de guider les amateurs. Toutefois, le critique est tributaire de ses goûts personnels, de son instinct et de sa sensibilité. Son jugement est loin d'être absolu, si bien que deux hommes également éclairés ont très souvent des opinions diamétralement opposées sur un même ouvrage ou sur un même auteur. Le rôle de la critique est plutôt d'amorcer la discussion générale. Pour le reste, le temps fait son oeuvre. Mais, comme l'écrit si justement M. Martel, le temps lui-même n'est pas à l'abri de l'erreur. résignons-nous donc à entendre beaucoup de musique et à élire celle qui s'accorde à notre sensibilité. (...)
« Les sens sont devenus fous, et c'est le résultat qu'obtiennent délibérément tous ces faiseurs de neuf qui, le jour et la nuit, s'escriment sur leur instrument à chercher des effets. Les nouvelles règles qui sont maintenant en vigueur et les nouveau modes qui en découlent rendent la musique moderne désagréable à entendre...» Quel est l'auteur de cette diatribe ? Un mélomane de 1957 ? Non point : c'est le chanoine Gian-Maria Artusi, compositeur et critique bolognais, qui accueillait par ces paroles amères la publication des Madrigaux de Monteverdi en 1600... (...)En 1802 on reprochait à Beethoven ses duretés, ses bizzareries. En 1875, on jetait à la tête de Bizet des adjectifs jugés alors insultants : wagnérien, brumeux, nordique - à propos de Carmen, si française par l'esprit, si méridionale par la lumière qui l'ensoleille ! En 1902, la répétition générale de Pelléas fut houleuse. En 1913, le Sacre du Printemps déchaînait des batailles. Mais assez rapidement, les critiques s'apaisèrent et firent place à l'admiration qui, depuis lors, ne s'est pas démentie. Tel est le sort de toute oeuvre à la fois originale et sincère : l'originalité heurte d'abord nos habitudes, mais la sincérité entraîne finalement notre adhésion. Honegger soutenait avec raison que le public est plus sensible à ce qu'on lui dit qu'à la manière dont on s'exprime. En d'autres termes, la pensée prime le vocabulaire et l'on accepte d'être surpris, à condition d'être convaincu. (...)
Alors ? Pour ou contre la musique contemporaine ?