Jeudi matin en me levant, j'avais conscience que le week-end qui s'annonçait serait déterminant. Pourtant, quelque intenses que fussent mes certitudes, je n'imaginais pas que l'arbre serait chargé d'autant de fleurs, promesses d'autant de fruits.
Pour remettre les choses dans leur contexte, ce week-end était celui de la
rencontre avec ce garçon avec qui je discute depuis deux ans. Nous avions décidé de profiter de sa venue en France pour concrétiser cette relation épistolaire. Aussi jeudi matin je prenais le train pour Paris, la boule au ventre comme un ado de quinze ans qui aurait eu son premier rendez-vous.
Je ne me rappelle pas avoir jamais été aussi nerveux. À tel point que quelques minutes plus tôt j'avais failli exploser en larmes en voyant le métro tarder et l'heure pour mon train approcher dangereusement alors que je n'étais toujours pas monté à bord. Je ne pouvais pas rater ce train. Non, pas celui-là. L'idée m'en était plus qu'insupportable. Vous n'imaginez pas mon soulagement d'avoir pu monter quelques secondes avant que le chef de gare ne siffle le départ ! Ça y était, j'étais en route.
Dans le train j'échangeais quelque mots avec un ami qui connait personnellement celui que je devais rencontrer et qui l'avait recueilli la veille à l'aéroport : "C'est vraiment un mec bien. Fonce"... Je ne remercierai jamais assez l'auteur de ces sept mots dont j'apprendrai quelques jours plus tard qu'il avait dit exactement la même chose à celui qui, de son côté, brûlait de me rencontrer.
J'arrivais à Paris en panique, oscillant entre un sourire béat et une profonde envie de pleurer. Un truc totalement dingue. Chacun de mes pas vers ma destination renfonçait cette sensation d'euphorie mêlée de vertige.
La rencontre elle même fut extraordinaire... J'ai passé cinq jours fabuleux avec un garçon absolument merveilleux, exactement tel que je me le représentais. La même joie de vivre, la même folie douce, le même sourire, et cette immense douceur dans laquelle je me suis laissé bercer jusqu'à l'ivresse... Un coup de foudre réciproque. Je crois que jamais je n'ai autant craqué pour un garçon.
Lundi après-midi, la séparation devant le métro de Bréguet-Sabin fut horrible. Le voir fondre en larmes m'a totalement bouleversé. Hier soir j'avais envie de pleurer toutes les cinq minutes et je ne pensais qu'à lui.
Sur le chemin du retour, installé dans mon Paris-Toulouse, me sont revenues en mémoire les paroles d'une chanson de Brigitte Fontaine, "
Conne" :
Je suis malheureuse ! parce que je suis conne !
Et parce que le monde est con !(...)
Je suis passée à côté de l'amour,
l'amour
Quand il s'est présenté à moi
Avec sa Mercedes rose bonbon
Et sa poitrine nue et dorée
Je l'ai laissé sur le bord de la route
Et je suis montée dans une 2CV pourrie
Où y'avait un chien qui puait
Conne !
Et moi ? N'en avais-je pas marre de ma deuch pourrie et de ce chien qui pue ? N'était-il pas temps de monter dans la merco rose bonbon qui passe en ce moment même à côté de moi et de prendre le large ?
Aussi, de retour à Toulouse, une évidence s'est imposée violemment à moi. Je ne pouvais plus me taire. Je ne pouvais plus mentir à mes parents en disant que j'allais simplement passer un week-end chez des amis alors que je suis allé rencontrer un garçon avec qui je discute depuis deux ans. Je ne pouvais plus leur mentir en disant que j'allais simplement passer quinze jours à Montréal alors que j'ai prévu d'aller voir celui qui pourrait, dans un monde idéal - j'y reviendrai - devenir un jour leur gendre. Car, oui, nous avons déjà programmé de nous revoir tantôt au Canada en novembre.
Le moment était venu, je m'en sentais la force. C'était là, prêt à sortir, cette boule dans la gorge qu'il me fallait vomir coûte que coûte, porté par ces sentiments très forts et par l'émotion intense procurée par cette rencontre.
J'ai donc fait mon coming-out à ma mère, pour commencer. Mon père viendra ensuite.
Après le repas de midi, pendant qu'elle me parlait de choses dont je n'avais que faire, activité dans laquelle ma mère excelle, je l'ai interrompue un peu brutalement, et je lui ai dit. Je lui ai dit que ce week-end je n'étais pas qu'allé voir des amis, mais que j'étais surtout allé rencontrer pour la première fois quelqu'un avec qui je discute sur internet depuis deux ans.
- Une fille ?
- Non.
- ................ un garçon ?
- Oui.
- ..................mais tu es...?
- Oui...
Elle a versé une petite larme, je l'ai pris dans mes bras. On a un peu parlé, elle m'a posé quelques questions. Sa réaction fut magnifique, malgré son émotion manifeste. Je lui ai parlé de celui que j'étais allé rencontrer, pour la rassurer un peu. Je lui ai dit à quel point c'était un garçon formidable. Je me suis surpris par ma facilité de lui parler de tout cela. Je ne me savais pas autant à l'aise. Cela m'a fait du bien.
Elle m'a dit merci...
Je suis encore un peu étourdi, mais voilà, la glace est brisée. Dorénavant, elle sait, et le reste de la famille suivra progressivement. Et je n'aurai bientôt plus peur de leur présenter quiconque. Je ne réalise pas encore ce que cela va changer concrètement dans ma vie, mais je crois que c'est une muraille gigantesque que je viens de faire sauter de mes fortifications. Il me manquait juste un bon détonateur ; il me l'a procuré.
Un peu plus haut j'ai écrit que, dans un monde idéal, un monde dans lequel Montréal ne serait pas à 6000 kilomètres de Toulouse, ce garçon aurait pu être beaucoup plus qu'un ami. Il est vrai qu'il représente tout ce que j'aime chez un garçon, intellectuellement comme physiquement. Fidèle à mes travers habituels, je me suis beaucoup laissé emporter par mes émotions aujourd'hui et me suis laissé errer dans des projets potentiels totalement fous dont j'ai même fait part à certains amis intimes qui m'ont apporté un soutien qui n'a fait que confirmer toute l'affection que je leur porte.
Mais, parallèlement, au fond de moi, résonnait la voix de
cet ami qui m'avait comparé à une forteresse cathare et conseillé de lâcher prise. Lâcher prise, certes, sans perdre les pédales. La folie, ou la raison ? Les deux Monsieur le Président. Mais dans une juste mesure.
Un peu plus tard dans la journée, ce beau garçon venu du grand nord et moi nous sommes appelés. Cela m'a fait du bien, comme à chaque fois. Je lui ai raconté mon coming-out. Je lui avais d'ailleurs annoncé le matin que j'allais le faire et il m'y avait encouragé.
Nous avons longuement discuté, pendant plus d'une heure. Au fil de la conversation, armé d'une expérience de vie plus riche que la mienne, il s'est montré plus cartésien que moi, avec raison. Et je l'en remercie du fond du cœur. Contrairement à ce dont j'essayais encore de me convaincre ce matin, en l'état actuel des choses, lui et moi ne serons jamais des
chums. Oui notre rencontre fut formidable, oui on s'apprécie énormément, oui on se porte une affection considérable, mais si beau soit le rêve, et malgré l'infinie tendresse que nous nous portons mutuellement, il faut être réalistes : la distance ne permet rien. Et nous en sommes tous les deux profondément désolés.
C'est drôle car il y a quelques semaines, c'est lui qui craignait de se mettre dans de pareils états, et moi qui lui avait tenu le discours inverse. Décidément la fatigue n'aide pas à avoir les idées claires face à un déluge d'émotions. Putain, je me suis vraiment laissé porter à la dérive...
Alors, que restera-t-il de tout cela ?
Assurément beaucoup de choses. Des souvenirs merveilleux de Paris, une rencontre rare qui sera le point de départ d'une amitié magnifique. D'ailleurs vendredi je pars à nouveau le rejoindre pour le week-end à Angers, et nous avons déjà prévu de nous revoir en novembre, cette fois chez lui, à Montréal.
Et par dessus tout, il restera à jamais ce pilier qui a su me bouleverser comme jamais et grâce auquel j'ai trouvé la force d'amorcer un nouveau grand pas dans ma vie, celui de mon coming-out à ma famille. Rien que pour cela, je lui dois une reconnaissance éternelle.
Aujourd'hui, j'ai fait mon coming-out à ma mère.
Aujourd'hui, j'ai fait mon coming-out à ma mère...