
La nouvelle saison du Théâtre du Capitole s'ouvre par l'un des trois piliers de l'opéra :
La Bohème de Puccini, adaptée de l'oeuvre de Henri Murger "Scènes de la vie de bohème" que quelques extraits intégrés au livret m'ont donné envie de lire. L'un des trois piliers ai-je écrit car j'ai appris tout récemment qu'il existait un moyen mnémotechnique tout simple pour se rappeler du nom de ce que l'on désigne classiquement comme les trois grands chef-d'oeuvre de l'opéra : A comme Aïda, B pour la Bohème, et C pour Carmen. Comme je suis un garçon qui ne fait rien comme les autres, j'ai naturellement commencé par la fin car voici quatre ans maintenant que j'écoutais pour la première fois, juché sur mon strapontin d'orchestre, la fresque éblouissante de Bizet. Aïda donné l'an passé ou l'année précédente, m'a échappé. J'attendrai donc mon tour patiemment pour compléter la trilogie.
Il paraît que le quatrième tableau de la Bohème - celui de la mort de la douce Mimi - est celui des larmes, celui capable de faire pleurer comme une madeleine même le hollandais calviniste le plus austère. Mon coeur doit être d'airain. Car tant lors de la générale, où j'ai profité de la compagnie d'un très agréable jeune homme aussi cultivé que charmant, que lors de la représentation publique à laquelle j'ai assisté, c'est systématiquement le troisième tableau qui me tire les larmes. Pourtant il n'y a rien de véritablement dramatique dans ce tableau : pas de mort, pas de dilemme cornélien... Rien qui ne doive entraîner la compassion. Hé bien moi ça reste mon tableau préféré, loin des simagrées mielleuses du premier tableau, des frasques un peu tape à l"oeil quoique formidables du second, ou du trépas larmoyant du quatrième. A croire que la mort m'indiffère.
De même, plus qu'au jeune premier qu'est Rodolfo, je m'attache - parce que je me reconnais ? - davantage au personnage de Marcello, un grand gaillard - incarné par un magnifique baryton, et je ne parle pas que de la voix ! - tourmenté par ses démons intérieurs et des souvenirs amoureux lancinants. Rodolfo me paraît mièvre, inconsistant, presque superficiel. Il n'a pas les pieds sur terre ce garçon. Marcello en revanche a conscience de tout, il voit, il sait, il devine, il sent tourner le vent et venir la tempête. Et pour moi l'un des grands moments forts c'est, à la fin du deuxième tableau, le monologue de Marcello qui se lamente de retrouver Musetta et de retourner à ses amours perdues contre lesquelles il lutte de toutes ses forces, pour succomber à nouveau. Et là, oui, je pleure.

Je n'aime pas les
mondanités. Je le savais. La rentrée solennelle de la Faculté qui avait lieu ce soir fut l'occasion d'une piqûre de rappel. Non pas que croiser des personnalités importantes de la vie politique et économique me dérange, je n'ai rien contre. Plutôt que le contexte me donne la nausée. Ces instants où l'on a la curieuse sensation d'être plongé au beau milieu d'un aquarium de champagne rempli de piranhas louvoyant entre des récifs de petits fours, à lécher le cul du plus offrant et à se gargariser en coeur de toute la merde qu'ils peuvent avoir collée sur les amygdales.
Il ne faut pas être hypocrite : j'apprécie les honneurs. Mais uniquement lorsqu'ils sont justifiés. Je suis trop
humble con pour tolérer qu'on me remette des lauriers dont j'aurais acheté chaque rameau au prix de mon asservissement. Il faut les voir ces renards de basse-cour, qui se sourient par devant et se poignardent par derrière, à la recherche d'une gloire vaniteuse et futile, spectacle qui m'amuse et m'apitoie. Pauvres d'eux. Pousse-toi de là que je m'y mette ! Monseigneur admirez mon ramage ! Vous prendrez bien un verre de cigüe ? Votre Seigneurie toisez donc mon plumage ! Votre altesse, que vous êtes jolie, vous me semblez belle ! Sans mentir... Mais tel le chat de la fable qui croque ses courtisans, n'est pas renard celui qu'on crôa !
Fuyant à toutes jambes ce panier de crabes nauséabond, je repensais au Figaro de Beaumarchais :
"- Comment voulez-vous ? la foule est là: chacun veut courir, on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse, arrive qui peut; le reste est écrasé. Aussi c'est fait ; pour moi, j'y renonce."
Le mariage de Figaro (III,5)

En entrant chez moi en fin d'après midi, j'ai eu la confirmation d'une impression récurrente : cet appartement a besoin d'une âme qui le hante. Même si l'on a essayé de m'en dissuader je crois que je vais faire entrer un compagnon dans ma vie, qui puisse venir se frotter contre moi en rentrant le soir, me regarder un instant et continuer sa vie féline quelque part ailleurs. Oui, je crois bien que j'ai très envie d'un chat. Un joli chat gris aux poils soyeux et aux longues moustaches, peut être un chartreux. Ou un rouquin tigré au grands yeux verts remplis de malice, quoique j'ai entendu dire que les chats tigrés sont tarés... Mais ce soir tandis que je défaisais les lacets de mes souliers en cuir, j'aurais bien aimé qu'un matou vienne se faufiler entre mes chevilles endolories par deux rudes journées ponctuées d'une trop brève nuit, sentir la douceur de son pelage contre ma main froide et chancelante, et l'entendre jouer avec mes chaussettes toutes griffes dehors pendant que la baignoire distillerait les embruns aromatiques des sels apaisants.
Enveloppé de la mousse onctueuse d'un bon bain chaud, je me délasse enfin, tandis qu'au loin Mélisande se lamente de Pelléas. Une bonne bouteille de Château Neuf 2005 a également été ouverte qui s'aère pendant que mes membres se délassent. Une soudaine envie de m'enivrer un peu, de laisser aller mes sens où bon leur semblait. L'effet est réussi.
Dieu que cette partition est belle. Et dire que je ne l'avais point aimée la première fois...
J'ai ouvert la fenêtre ;
il fait trop chaud dans la tour.
Il fait beau cette nuit.
Debussy - Pelléas et Mélisande, (III, 1)