
La scène se passe autour d'un buffet froid servi dans une salle paroissiale. Une centaine de personnes, pour la plupart retraitées, dévorent avec avidité pains sandwiches et autres salades de pomme de terre à la mayonnaise dans un joyeux brouhaha. Toisant l'assistance de son oeil de lynx, chéri me dit au creux de l'oreille : "
Retourne-toi et regarde la madame blonde coiffée comme Marilyn Monroe".
Me retournant aussi discrêtement que possible, et ne sachant pas à quoi m'attendre, j'aperçois, assise à quelques pas de moi, une dame d'un certain âge, entre 65 et 70 ans je ne saurais dire exactement, rondouillette, le double menton prohéminent, très élégamment vêtue, et permanentée comme si elle sortait de chez le coiffeur.
Aussitôt après l'avoir sommairement dévisagée, chéri répondit amusé à mon air interrogateur : "Cette Madame, c'est un homme... Marc a été traumatisé la première fois qu'il l'a rencontrée car elle parlait avec une voix androgyne de madame qui a fumé un paquet par jour toute sa vie. tout en lui écrabouillant la main" joignant le geste à la parole, mimant la face héberluée de Marc alors que ses phalanges étaient réduites en nanoparticules par une poigne féminine anormalement virile. Automatiquement mon regard revint sur cette grosse madame alors en train de dévorer un part de gâteau au chocolat tout en disctutant avec sa voisine.
Cette révélaltion m'a tout d'abord gêné l'espace de quelques minutes, avant de laisser la place à un trouble qui, plusieurs jours après, ne s'atténue pas.
En réalité, je ne suis pas certain de savoir ce qui m'a le plus perturbé : le fait d'avoir face à moi une personne qui n'est pas ce qu'elle paraît être, une personne transexuelle dont le secret se trouve soudain éventé ? où le fait de me sentir mal du fait même de me poser ce genre de question ?
Après y avoir bien réfléchi, je crois bien que c'est ça qui m'a le plus dérangé : d'avoir à m'interroger sur l'identité d'une personne en raison de l'image sociale qu'elle projette, c'est à dire, pour employer une expression à la mode, d'avoir à m'interroger sur l'identité d'une personne en raison de son genre.
Car si l'on ne m'avait pas dit que cette personne était transsexuelle, non seulement je n'aurais rien remarqué, mais en outre je ne crois pas qu'il me serait venu à l'esprit de remettre en cause ce que me dictaient les apparences, lesquelles satifsaisaient sans la moindre vaguelette aux conventions du jeu social.
Et c'est à ce point de mon cheminement que la balle m'est revenue en pleine poire d'une manière spectaculaire.
Nous autres, les gays, qui avons milité et militons encore pour que notre orientation sexuelle ne soit pas un critère discriminant ni discriminatoire de quelque façon que ce soit, je me trouvais dans la situation - je n'irai pas jusqu'à dire juger, mais au moins de considérer, ou plus exactement de me sentir mal à l'aise face à quelqu'un pour exactement les mêmes motifs que ce contre lesquels je me bats. Parce que oui, je fais partie de ceux qui considèrent qu'un homme ce n'est pas d'abord un pénis, ni qu'une femme puisse être réductible à un vagin, ni une personne puisse être réductible à son orientation sexuelle. Et me voilà en train de me poser mille questions et de ressentir un je-ne-sais-quoi de profondément malaisant parce que la personne en face de moi n'est pas du sexe qu'elle prétent être...
Bam, prends toi ça dans la gueule.
Qui plus est, la situation de malaise était accentué par l'âge de cette madame. Entre 65 et 70 ans comme je l'ai déjà dit. Si aujourd'hui les choses se sont améliorées, je ne suis pas sûr que ce qu'a traversé cette dame pour en arriver là où elle en est maintenant, mérite un sourire sarcastique ou une messe basse moqueuse. Elle a probablement fait partie celles qui en vu des vertes et des pas mûres, qui en ont probablement chié comme personne, au-delà de l'immaginable, pour réussir à assumer ce qu'elle est, par-delà les apparences.
Oui j'ai été troublé mais aussi ému. J'aurais bien aimé lui parler, à cette dame, pour qu'elle me raconte. Et moi je me rends compte que j'ai encore beaucoup de progrès à faire en matière de tolérance.