Régulièrement je reçois dans ma boite à lettres des petits messages venants de certains d’entre vous qui me lisez. Cela me fait toujours très plaisir de pouvoir nouer un contact un peu plus personnel en
off. Car, oui, sache toi qui me lis en ce moment même que je
t’aime comme un fou comme un soldat, comme une star de cinéma t’apprécie et que tu as droit à toute la gratitude dont je suis capable. C’est-à-dire autant qu’il y a de fausses notes dans une chanson live de Lâam.
Si l’essentiel de mes lecteurs se situe en Europe, d’autres sont disséminés un peu partout dans
l'immensité de la galaxie sur le globe. Aussi cette semaine c’est un lecteur Burkinabé qui prend sa plus belle plume pour me déclarer sa flamme et me proposer la bienveillance de ses services.
Joignant le geste à la parole, c'est la tête ornée de mon plus beau diadème que je me saisis de mon clavier et m'empresse de répondre à cet admirateur :
Bonjour cher Ami,
Bonjour cher admirateur inconnu.
Vous m'excuserez de ne pas employer à votre égard le terme "ami" qui suppose un degré minimal d'intimité que nous n'avons pas encore atteint. Laissons le temps faire son oeuvre. Sans chercher de prime abord la querelle - cette occasion nous sera fournie très rapidement rassurez-vous - permettez-moi d'exprimer en outre mes plus vives réserves à l'encontre de ce procédé rhétorique consistant à délibérément placer le ton sur le registre de la franche camaraderie alors que rien a priori n'y invite. Ce
motus operandi est hélas d'autant plus désagréable que d'une totale innocuité. Je vous appellerai donc par votre prénom, ce qui me semble un bon compromis entre courtoisie et le rapport de proximité auquel vous semblez si attaché.
Je sais que cette lettre vous parviendra telle une surprise, pour la raison que nous ne nous connaissons pas, mais soyez rassuré je ne viens pas avec de mauvaises intentions.
Une surprise ? Je ne voudrais pas briser vos illusions trop vite. Disons plutôt que je découvre votre courrier avec curiosité en lui accordant tout l’intérêt dont il est digne. Quant aux bonnes intentions alléguées, je ne doute pas un instant qu’elles puissent être autres. Et puis la bonne foi se présume, quoique l’enfer soit pavé de bonnes intentions…
Je suis Mr. Bambara Alidou Directeur du département d'audit d'une BANQUE au Burkina Faso, au cours de mes recherches dans cette banque, vers la fin de l'année 2008, j'ai trouvé un montant énorme de Douze millions cinq cent mille dollars Américains (US12.5M) qui avait été déposé dans un compte depuis 1999.
Enchanté de faire votre connaissance cher Bambara. Je ne me présente pas puisque l’initiative de cet échange épistolaire vous appartient. J’en déduis par conséquent que vous savez parfaitement qui je suis et m’épargnerez donc des présentations inutiles.
Vous avez-donc découvert au sein de votre établissement un compte dormant crédité d’une très importante somme d’argent. C’est heureux pour la santé financière de la Banque, mais eu égard à votre qualité de Directeur du service d’audit je crois ne rien vous apprendre.
A partir d’une recherche approfondie, j'ai découvert que ce fond a été déposé par un Étranger qui a décédé au cours d’un accident d'avion en 2003.
Un étranger qui « est » décédé cher Bambara. Le verbe décéder s’emploie avec l’auxiliaire être. D’un point de vue syntaxique vous auriez même pu faire l’économie de la relative et faire usage d’un simple mais élégant participe passé : « un étranger décédé ». Mais nous nous ne sommes pas là pour bavarder grammaire et constructions logiques.
Un accident d’avion en 2003 vous dites ? Comme cela est tragique ! Saviez-vous que selon certaines
sources bien renseignées, il y avait eu 10 accidents d’avions mortels en 2003, occasionnant la mort de 294 passagers ? Tout cela est bien triste et nous invite à méditer sur la beauté de la vie...
Mais reprenons voulez vous bien...
Et depuis lors, ce compte est resté sans aucune activité ni aucune réclamation de qui que ce soit.
Cela n’a rien de très étonnant cher Bambara qu’après le décès de son titulaire un compte en banque reste inactif pendant un temps plus ou moins long. Encore une fois je ne t’apprendrai rien en te parlant des difficultés qui peuvent surgir lors des opérations préalables au partage successoral : avertir puis réunir les héritiers présomptifs dont on ignore parfois l’identité voire l’existence, faire établir un projet de partage par un officier compétent, un notaire ou son équivalent, le rôle dévolu dans l’hexagone - et de façon plus générale en Europe - à cet homme de loi pouvant être octroyé à d’autres institutions en fonction des pays.
C’est à cet effet que je sollicite humblement votre aide et votre coopération afin de vous présenter à la (Société Generale de Banque au Burkina SGBB).comme étant le partenaire investisseur bénéficiaire de ces fonds pour notre bien commun.
Ho que c’est malin ! Tu es un petit filou mon cher Bambara ! C’est une idée brillante… Le coup du siècle ! Récupérer 12,5 millions de Dollars abandonnés sur un compte en banque en se faisant passer pour le partenaire investisseur bénéficiaire de ces fonds … C’est digne des meilleurs épisodes de l’Agence Tous Risques ! Je reconnais là l’acuité intellectuelle d’un Arsène Lupin de temps modernes.
Toutefois, et tu me détromperas si jamais je me fourvoyais, mais me faire passer pour le bénéficiaire des fonds suppose que je rapporte la preuve de ma qualité de créancier. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. En outre, certain du sérieux dont l’établissement se fait fort et eu égard à la bagatelle que représente le butin convoité je doute que ma tête d’ange suffise à convaincre le guichetier à me remettre une valise en petites coupures ou même plus discrètement un gros chèque.
Je me permets ces quelques remarques car, vois-tu (on se dit tu hein ?) en France, et je crois que la tendance s’est un peu généralisée, que la personne soit ou non propriétaire des fonds, il faut désormais obligatoirement passer par un notaire pour obtenir au certificat d'hérédité ou un acte de dévolution successorale. Ensuite le partage des avoirs bancaires se fait en respectant les instructions du notaire qui devient séquestre légal des fonds à partager. Il me semble donc qu’il y ait une faille dans cette entreprise machiavélique.
Soyez sûr que toutes les procédures seront surveillées ici par moi jusqu'à ce que vous réceptionniez ces fonds dans votre compte bancaire. Rassurez-vous que ce transfert est sans risque, à 100%, car nous avons pris toutes les dispositions pour son bon déroulement.
J’attire d’autant plus votre attention sur les remarques que je viens à l’instant de formuler. Il en va de notre réussite conjointe.
(On ne se tutoie pas finalement ?)
Nous partagerons cette fortune comme suit : 35% pour vous, 5% pour toutes les dépenses effectuées au cours de ce transfert et 60% pour mes associés et moi.
Hum, attendez que je fasse mes comptes : 35% de 12,5 millions de Dollars cela représente la somme de 4.375.000 Dollars, ce qui au taux actuel de la parité Dollar-Euro qui est de 0.74 au 12 février, représente 3.237.500 Euros, ce qui n’est pas une maigre somme j’en conviens parfaitement.
Les frais de déplacement et d’hébergement sont pris en charge dites- vous ? Selon mes calculs cela fait un montant confortable de 462.000 Euros affectés à ce seul usage. Vous voudrez bien par conséquent m’adresser la liste des palaces les plus proches de l’agence où je devrais me rendre afin que j’y réserve une chambrée. Il va sans dire que je ne voyagerai qu’en première classe et qu’un chauffeur personnel sera le minimum.
Néanmoins un ‘détail’ me chiffonne. Car voyez-vous cher Bambara, je suis ressortissant Français et tous mes comptes sont inscrits au solde d’établissements soumis à la loi Française. Par conséquent je me permets d’attirer votre attention sur l’article L. 152-1 du Code Général des Impôts en vigueur depuis le 1er novembre 2009, article aux termes duquel :
« Les personnes physiques qui transfèrent vers un Etat membre de l'Union européenne ou en provenance d'un Etat membre de l'Union européenne des sommes, titres ou valeurs, sans l'intermédiaire d'un établissement de crédit, d'un établissement de paiement ou d'un organisme ou service mentionné à l'article L. 518-1 doivent en faire la déclaration dans des conditions fixées par décret.
Une déclaration est établie pour chaque transfert à l'exclusion des transferts dont le montant est inférieur à 10 000 euros. »
Cela signifie que si je récupère cet argent en petites coupures, je ne pourrai pas le déposer sur un compte ouvert en Europe sans devoir en aviser l’Administration Fiscale au risques de poursuites pénales dont je souhaiterais autant que possible éviter les désagrément. Je suis persuadé que vous conviendrez en honnête homme de l'inconfort de la situation.
J’attire également votre attention sur les dispositions de l’article L.152-3 du même Code :
« Les établissements de crédit, les établissements de paiement ainsi que les organismes et services mentionnés à l'article L. 518-1 doivent communiquer aux administrations fiscales et douanières, sur leur demande, la date et le montant des sommes transférées à l'étranger par les personnes visées à l'article L. 152-2, l'identification de l'auteur du transfert et du bénéficiaire ainsi que les références des comptes concernés en France et à l'étranger. Ces dispositions s'appliquent également aux opérations effectuées pour le compte de ces personnes sur des comptes de non-résidents.
Les organismes mentionnés au premier alinéa sont tenus de conserver, dans les conditions prévues à l'article L. 102 B du livre des procédures fiscales, tout document, information, donnée ou traitement relatif aux opérations de transfert mentionnées aux alinéas précédents. »
Etant donné votre statut de Directeur du service d’audit, il n’aura pas échappé à votre sagacité que l’Union Européenne a considérablement renforcé les mesures de contrôles des flux financiers entrants et sortants en imposant notamment aux établissements de crédit une obligation renforcée de vigilance et de déclaration afin de lutter préventivement contre le terrorisme et la corruption.Ce sont les fameuses Directives Européennes Blanchiment I et Blanchiment II dont vous avez certainement entendu parler.
Je m’abstiendrai donc pour l'instant de me prononcer plus avant tant que je n'aurai pas obtenu de votre part la preuve des garanties nécessaire à la parfaite réalisation de cette entreprise. Mais, que cela ne prête pas à l'équivoque, je ne doute pas un instant de la perspicacité de vos arguments à venir.
Nous avons prévu un délai de 11 jours ouvrables pour amener la banque à procéder au transfert de ce fond dans votre compte bancaire.
Onze jours, c'est extrêmement long ne trouvez-vous pas ? Sont-ce là les délais réglementaires ? De plus je me permets d'appuyer sur les objections soulevés un peu plus haut sur la difficulté d'un transfert de compte à compte eu égard à la réglementation relative à la transparence des flux bancaires.
En outre, cette transaction devrait être traitée avec la plus grande confidentialité pour la simple raison que je suis toujours en service dans cette banque.
Comptez sur mon silence le plus absolu. Tout ceci restera strictement entre vous et moi et ne céderai sous aucun prétexte. Sauf bien entendu si une horde de très très beaux garçons reléguant les couvertures de Têtu au rang d'une caricature de Dingo mal dégrossies se propose de me faire quotidiennement l'amour pour le reste de mes jours.
Si vous êtes prêt et intéressé par cette affaire, veuillez m'envoyer une réponse suivie de vos informations personnelles afin que je vous envoyez de plus amples détails sur son déroulement.
Veuillez me laisser votre contact téléphonique:...
Pays:...
Adresse:...
Profession et occupation:....
Age:...
Photo
Merci pour votre coopération.
A bientôt
Mr. Bambara Alidou.
Mais mais mais... Hoooooo, j'y suis... Hààà la la... On peut dire que vous êtes un sacré farceur vous ! J'ai compris : en réalité vous êtes un admirateur secret et vous voulez un rendez-vous avec moi, hein ? Allez allez, trêve de chichis. Ca ne prend pas avec moi. Votre timidité maladive vous a conduit à échafauder ce scénario à peine crédible de compte en banque inactif (faut-il y voir un message subliminal ?) à la seule fin de récupérer mon adresse ainsi qu'une photo dont j'ignore ce que vous allez faire puis revenir vers moi pour me proposer un rendez-vous aux chandelles en me récitant des poèmes de Daniel Guichard. C'est trognon...
Mais vois-tu mon cher Mambara (allez, soyons fous, on se dit tu au point où nous en sommes) envisager l'éventualité d'une relation en la fondant sur le mensonge me paraît une très mauvaise idée. Car comme l'a dit Emile Zola : " La vérité est en marche et rien ne l'arrêtera". Bon, d'accord Pablo Neruda a écrit que "La vérité, c'est qu'il n'y a pas de vérité" mais c'était par un soir de désolation après avoir appris que Séna de Secret Story trompait Amélie ; donc ça ne compte pas.
Tu me vois navré de devoir t'adresser un non négatif et irréversible. La fleur de ma confiance piétinée ne fleurira pas dans le jardin de tes sentiments. Tout est fini entre nous. Je m'en vais, meurtri et humilié, mais la tête haute.
Adieu.
Ton dévoué
Tambour Major