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  • 19 juillet 2014

    Bonheur funèbre

    De mes deux grands-pères, je n'en ai connu qu'un seul, que nous appelions Papi. Il habitait, avec ma grand-mère, à quelques pas seulement de chez nous. De ce fait, nous le voyions tous les jours, soit qu'il venait nous chercher moi et mon frère à l'école, soit que nous passions lui faire la bise en rentrant le soir.

    C'était un personnage singulier mon grand-père. Un homme de la terre, dur et âpre comme celle, argileuse, qu'il cultivait dans cette plaine de Garonne où j'ai grandi. 

    Il ne prêtait guère attention à son allure, ayant souvent un accoutrement négligé, vêtu d'un invariable pantalon de velour côtelé marron et de sandales en toile rafistolées. Lui, passablement rustre, s'en foutait. Ce n'était pas son problème. Ses affaires marchaient, même très bien, et c'était bien là l'essentiel. Il savait en revanche se faire élégant pour les grandes occasions, dans un grand écart stylistique dont il avait le secret.

    Je ne me souviens pas de l'avoir entendu rire souvent. Au contraire, je me rappelle très bien de ses tonitrunats accès de colère qu'il deversait froidement en un ouragan de décibels. "Mais, taisez-vous !" tonnait-il régulièrement le dimanche du bout de la table qu'il présidait, alors qu'il écoutait son émission politique à laquelle je ne comprenais strictement rien. "Bon Dieu alors, c'est pas possible...!"

    Combien de fois ai-je vu ma mère rentrer en pleurs après s'être fait copieusement injurier pour une broutille ? Attablé à mon bureau, la fenêtre ouverte, le mercredi après-midi, pour faire mes devoirs, je me souviens très distinctement de l'écho de ces épisodes qui me le rendaient particulièrement antipathique au point de parfois redouter d'avoir à le croiser.

    Lui et ma grand-mère se disputaient tout aussi régulièrement. Elle partait alors s'enfermer dans sa chambre - ils faisaient lit à part - prétextant un mal de tête. C'est du moins l'argument qui nous était servi lorsque nous allions les voir et que mon grand-père se trouvait seul dans la cuisine, impassible. 

    Seul le travail manuel trouvait gràce à ses yeux. Aussi préférait-il nettement mon frère, peu porté sur les études et qui trouvait toujours un prétexte pour le rejoindre dans les champs, sur les tracteurs. Mes penchants littéraires et musicaux l'indifferaient au plus haut point. Lire ? Une activité de fainéant... Il ne manquait d'ailleurs pas de me le faire savoir, dès mon plus jeune âge, en dénigrant ouvertement mes heures plongées dans un bon bouquin. De là vient probablement cette forme de non-amour que je lui portais, symétriquement opposée à l'affection inconditionnelle que mon frère lui vouait, et qu'il recevait en retour de cet homme aux cheveux totalement blancs.

    Non, ce n'était pas un personnage qui m'inspirait une franche sympathie, quoiqu'il fut mon grand-père et malgré la tendresse naturelle que se portent mutuellement les membres d'une même famille. 

    Il faut croire que j'étais le seul à avoir développé cette forme d'indifférence et je ne puis dire aujourd'hui quel était l'état de ses sentiments à mon égard. Plusieurs fois ma mère m'a dit qu'il serait fier de moi et de ce que je suis devenu, de ma profession de notable et des belles fréquentations du grand monde qui sont parfois les miennes. Peut-être... 

    Le jour de son décès, il y a plus de vingt ans, fut un véritable drame, même si la dégradation de son état de santé laissait prévoir l'imminence funeste. Le patriarche s'en était allé, et avec lui tout un pan de l'histoire familiale. Personnage connu dans tout le département, l'église du village pour ses funérailles fut aussi bondée qu'un soir de Noël. Même notre vieil ouvrier, qui avait travaillé pour lui pendant quarante ans, était venu le saluer la larme à l'oeil, avant son ultime départ.

    Plus tard, dans la soirée de cette journée qui se voulait sombre, ma mère, en pleurs, me fit un reproche alors que je flânais sur le trottoir devant la maison :
    - On dirait presque que tu es content...
    Le plus terrifiant dans cet histoire c'est que, à cet instant précis, je l'étais vraiment.

    14 commentairess:

    1. Et pourquoi pas, après tout ? Pourquoi devrait-on systématiquement pleurer les "chers" disparus ? Par quel miracle les morts sont-ils subitement parés de toutes les vertus uniquement parce qu'ils ne sont plus ? La mort ne lave pas de tout ce que l'on a été, contrairement à ce que notre culture veut nous faire croire.

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      1. Ce qui est étrange, c'est de ne pas partager la mème tristesse que les autres. Je ne dis pas non plus que sa mort m'a été indifférente - le sensation de vide fut bel et bien présente - mais je ne me souviens pas avoir ressenti la vague d'émotions que j'ai pu éprouver à d'autres occasions similaires et, de fait, ne pas être en "communion" avec le reste de la famille, comme un vilain petit canard.

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    2. Quand ma grand-mère est décédée il y a quelques années je n'ai rien ressenti sur le coup, une fois sur les lieux de l'enterrement j'étais très heureux parce-que notre famille était réunie et je devais faire attention à ne pas sourire pour ne pas paraître déplacé alors que je l'aimais pas de doute là-dessus.
      Je suis d'accord avec Glimpse, rien à rajouter.

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      1. Oui c'est exactement cela. Je ferai le même commentaire qu'à Glimpse.

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    3. Beau billet lucide et courageux. Ta conclusion n'est pas terrifiante, juste logique. Je ne suis pas certain que la tendresse naturelle existe au sein des familles.

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      1. Pourtant, si les grand parents éprouvent quelque chose pour leurs enfants (c'était le cas de mon grand père), il me semble normal ou que les petits-enfants reçoivent également une part de tendresse, ne serait-ce que parce qu'ils sont le fruit de leur propre projéniture et, partant, de leur propre fierté. Je ne dis pas que mon grand père ne m'aimait pas, mais bien qu'il manifestait fort maladroitement son affection. Sans compter son caractère de cochon.

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    4. Le grand mystère des rustauds "sévères mais justes" (ou pas...) qui cachent leurs sentiments (parce que c'est pas viril de montrer ses sentiments, c'est bien connu !) en s'enfermant dans une carapace hostile, voire franchement désagréable derrière laquelle brille un cœur d'or... parfois, ledit coeur d'or se révèle... et parfois pas.

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      1. Franchement, je ne sais pas, tant son comportement était différent avec moi et mon frère. Avec moi, fermé, il suffisait que mon frère arrive pour que son visage s'illumine. Bon, il lui arrivait aussi de se prendre de bonnes engueulées hein...

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    5. Méchant Chimiste21 juillet 2014 à 10:40

      Feu mon grand-père paternel avait l'air d'un vieux con. Et vingt ans après sa mort, eh bien, je puis confirmer avec le recul que c'en était un. Grand-père ou pas, vivant ou mort !
      On ne va pas réécrire l'histoire pour satisfaire une bienséance douteuse, non plus.

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      1. De temps en temps, au cours des repas de famille, ma mère fait état de quelque anecdote qui corne un tout petit peu l'image d'épinal du patriarche en idolâtré par les cousins et cousines qui le voyaient 3 fois l'an (et qui n'en avaient qu'une vision très déformée). Et manifestement tout le monde n'est pas encore prêt à avaler ce genre de bonbon acidulé !

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    6. Je trouve que l'hypocrisie atteint des sommets lorsque certains versent des larmes de crocodile ou font "semblant" d'être triste alors que c'est tout l'inverse... Je ne dis pas qu'il faut sauter de joie non plus... Ce ne serait évidemment pas approprié. Mais ton attitude n'est en rien "terrifiante" je trouve...

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      1. Je pense que si ma famille savait, je passerais pour un monstre....

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    7. Je n'ai connu qu'un de mes grand-pères; c'était le parrain de mon frère. à nouvel an il donnait cinq francs à mon frère et moi je me brossais! :) J'aurais pu écrire la même chose que toi!

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