L'autre jour j'écoutais le prologue d'une émission de télévision consacrée aux réseaux sociaux dans lequel il était question de la mise en scène de nos vies.
L'idée développée semblait être que dans notre société rongée par le culte de l'image, exacerbée par Twitter, Facebook, Instagram et autre SnapChat, nous serions conduits à nous exposer sous notre meilleur jour, à donner de notre quotidien une image merveilleuse, pleine de soleil, de rires, d'amis trop super géniaux, de plage de sable fin et de piscine à l'eau bleu turquoise, d'apéros extra fun, d'instants carte-postale dans une sorte de course effrénée à un bonheur qui se voudrait par essence démonstratif. Comme de beaux objets dans une vitrine, juste assez putassiers pour attirer le chaland, pour quelques followers de plus.
Je suis assez d'accord avec cette vision pour le moins cynique des choses et de l'hypocrisie massive que véhiculent les réseaux à cet égard. Il suffit d'y consacrer quelques secondes pour s'en rendre compte et croiser en moins de clics qu'il n'en faut pour le dire, tels des offrandes mystiques au Dieu Image et au culte de l'Apparence, une logorrhée de selfies autosuffisants tous plus souriants les uns que les autres. Et je ne parle même pas de cette abomination suprême qu'est la perche à selfie, instrument du diable s'il en est, à propos duquel je réclame au passage le pal en place publique suivi de l’écorchement pour quiconque en utiliserait un...
Pour livrer le fond de ma pensé, je trouve cette tendance générale relativement insupportable, pour ne pas dire autre chose, surtout lorsque la vacuité du propos ne fait qu'enfoncer davantage la mercantilisation du plumage dans un magma obscène. La vulgarité étant, qui plus est, une arme facile mais redoutablement efficace pour capter l'attention d'un auditoire souvent narcissique en quête de son propre miroir. Likez moi Mon Seigneur !
Est-ce un phénomène nouveau ? Se mettre en scène, vendre une image idéalisée de sa vie et de son bonheur ?
Je ne le crois pas et suis au contraire persuadé qu'il s'agit simplement de l'expression nouvelle d'un phénomène très ancien, d'une attitude sociale extrêmement classique et banale qui trouve simplement dans ces nouveau outils un second souffle qui le pousse, de fait, à un niveau rarement atteint.
Car il convient de ne pas oublier les règles de la convenance sociale qui dictaient naguère la manière de se bien comporter en société afin d'être bien vus, la peur du qu'en dira-t-on et tout le fatras lignifiant du regard social, de ce qui semble bien et de ce qui semble mal, de telle profession qui serait plus noble que telle autre moins valorisante, de tel quartier à ne fréquenter sous aucun prétexte ou qu'avoir sa résidence dans de tel autre serait le symbole de l'accomplissement social et donc, nécessairement du bonheur. Ce flot d'affirmations étant de tout évidence un monceau d'âneries.
Oui, la réussite sociale, suivant bien entendu certains canons, a longtemps et est encore considérée comme l'archétype de l'accession à la félicité, suivant en cela un modèle bourgeois érigé en pilier dogmatique relativement inflexible malgré les vagues d'assaut qui lui ont été plus ou moins sauvagement assénés. Mais l'héritage culturel a la vie dure, quoique l'on tente de lui torde virulemment le cou...
La question sous-jacente et à mon sens l'un des enjeux cruciaux de notre temps, est de savoir se construire pour ce que l'on est et aime vraiment, plus que pour satisfaire aux attentes et aux préoccupation du regard social dont la force se trouve décuplée par les Twitter, Facebook, Instagram et autre SnapChat que j’évoquais tout à l'heure.
Si le carcan social pouvait en effet être jadis ou naguère étouffant, qu'en sera-t-il désormais ? Ma vie sera-t-elle assez swag en l'état pour mériter sa diffusion sans artifice sur Instagram ? Je me fais chier au boulot mais je mets une photo de moi super radieuse en train de faire l’andouille sur mon bureau... Wow la grosse éclate.
Après le règne de l’Être de l'Avoir, voici donc venu le temps du Laisser paraître et du Faire croire au l'on a. Comme dans un bon film, où tout le monde serait idéalement beau et parfaitement heureux. La meilleure illusion est celle qui, bien entretenue, se laisse confondre avec le réel. La prison sociale s'épaissit d'une nouvelle cloison...
Et si on faisait péter tout cela ?