Bien que ma mère n'en prépare jamais et que je n'aie à leur égard aucun souvenir d'enfance particulier, j'ai toujours aimé les pois chiches. Je crois que c'est mon oncle d'Espagne, qui cuisinait assez peu mais excellemment bien, qui m'avait initié à ces légumineuses à la saveur si particulière. Lui en mangeait souvent, à toutes les sauces, de toutes les manières. Et je crois que la première fois que j'en ai mangé c'était dans un plat composé de poivrons, de tomates et de chorizo. Ou peut-être pas...
Ce qu'il y a de formidable avec cette petite légumineuse, c'est qu'elle se plie formidablement à toutes les situations culinaires, sans se réduire à un accompagnement de seconde zone dans le couscous, ni se limiter à du houmous aussi délicieux soit-il : avec du fromage blanc et un peu de coriandre fraîche, en salade avec des tomates bien mûres, ou tout juste avec un filet d'huile d'olive et un peu de sel, en soupe, dans un tajine... L'imagination est sans limite.
Je crois que j'ai réalisé toute la richesse du pois chiche la première fois que j'ai franchi le seuil d'un restaurant libanais, dont l'un d'entre eux se situe non loin de chez moi et dans lequel j'aime à m'arrêter, ne serait-ce que pour me rassasier la rétine sur les très (très !) jolis vendeurs garantis AOC qui se bousculent derrière les étals. Le genre de garçon au teint de cuivre, à la chevelure d'ébène et au sourire renversant, capable de provoquer une augmentation incontrôlable de la température en même temps qu'une fracture du nef optique. Une connaissance, à qui j'avais recommandé l'établissement, m'envoie d'ailleurs un message de gratitude à chaque fois qu'il s'y rend. Les inépuisables plaisirs de l'Orient que voulez-vous...
Pour en revenir à mes pois chiches, j'en avais acheté une petite boîte pour mon repas de ce vendredi midi. J'avais aussi acheté un citron vert, pour les en arroser, et du maquereau fumé au poivre, parce que c'est très bon, le maquereau fumé. Venue l'heure de la pause, je déballe dans le petit local qui nous sert de cuisine tout mon attirail culinaire sur un coin de table, rince mes pois chiches à l'eau claire puis, empoignant un demi-citron, les arrose de jus frais pressé à la main. Simple, rapide, efficace, délicieux.
C'est alors qu'une collègue qui partageait le local cuisine avec moi, se mit à m'observer, incrédule, comme si j'étais en train d'autopsier la créature de Roswell. Sans comprendre pourquoi, je la voyais perdue, en pleine rupture du continuum espace-temps. Avec une authentique sincérité toute auréolée de la naïveté la plus prosaïque, elle ne tarda pas à me poser cette question que je crus sur le moment ne pas comprendre :
C'est alors qu'une collègue qui partageait le local cuisine avec moi, se mit à m'observer, incrédule, comme si j'étais en train d'autopsier la créature de Roswell. Sans comprendre pourquoi, je la voyais perdue, en pleine rupture du continuum espace-temps. Avec une authentique sincérité toute auréolée de la naïveté la plus prosaïque, elle ne tarda pas à me poser cette question que je crus sur le moment ne pas comprendre :
- Tu mets du citron sur tes pois chiches ?
Un peu déstabilisé par cette question qui me laissait, l'espace d'un instant, empli d'une insondable perplexitude - oui je mets bien présentement du jus de citron sur mes pois chiches - j'ai dû la regarder à mon tour aussi étrangement que si je l'avais vue tremper sa tartine de rillettes et cornichons dans un bol de café au lait ou si elle m'avait demandé de lui expliquer les équations de Scherrer.
- Ben, oui... répondis-je. Tu les manges comment tes pois chiches ?
- Ha ben j'en mange pas souvent. Mais avec du citron je n'aurais jamais eu l'idée.
Je n'en aurais jamais eu l'idée ? Mais enfin, songeai-je pris de vertiges, c'est comme mettre du vinaigre dans sa salade : ce n'est pas une question d'idée, cela relève de la simple évidence... Je vous assure qu'à ce moment précis j'ai regardé mes pieds afin de vérifier que le sol n'était pas en train de se dérober.
Et elle d'interpeller aussitôt une autre collègue qui passait par là pour lui montrer que je mangeais mes pois chiches froids avec du jus de citron (du jus de citron !) et de l'interroger sur ce sujet hautement intriguant :
Et elle d'interpeller aussitôt une autre collègue qui passait par là pour lui montrer que je mangeais mes pois chiches froids avec du jus de citron (du jus de citron !) et de l'interroger sur ce sujet hautement intriguant :
- Tu savais toi qu'on pouvait mettre du citron sur les pois chiches ?
J'aurais probablement été moins désarçonné si elle lui avait demandé la définition de la constante d'Avogadro.
- Hé non, je ne savais pas... répondit l'autre visiblement étonnée par cette nouvelle.
J'aurais probablement été moins désarçonné si elle lui avait répondu que la constante d'Avogadro est le nombre d’entités élémentaires contenues une mole de ces mêmes entités, la mole étant elle-même définie comme la quantité de matière d’un système contenant autant d’entités élémentaires qu’il y a d’atomes dans 0,012 Kg de carbone 12.
Manger des pois chiches avec du jus de citron doit donc relever de l'exotisme le plus excentrique. Heureusement ne m'ont-elles encore jamais vu manger mon petit salé aux lentilles froid, à même la boîte.
Laissons-leur un peu de temps, le traumatisme pourrait leur être fatal.
Laissons-leur un peu de temps, le traumatisme pourrait leur être fatal.
En soupe le pois chiche est aussi excellent.
RépondreSupprimerÇa fait bien longtemps que je n'avais eu de nouvelles de ce cher Avogadro !
C'est bon et c'est pas cher.
SupprimerJ'imagine que certains de leurs comportements alimentaires ou non doivent être aussi exotiques pour toi que le citron sur les pois chiches l'est pour elles.
RépondreSupprimerLe citron sur les pois chiches, ça ne me choque personnellement pas. Dans la plupart des recettes d'houmous, dont celle d'un de mes pays d'origine, l'un des ingrédients utilisés est le citron et parfois dans de grandes proportion en fonction des goûts.
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