On croit toujours que certaines choses n'arrivent qu'aux autres, que l'on est et sera plus forts. Que certains maux ne sont qu'un effet de mode, une tendance hype pour cadres dynamiques connectés entre Berlin, Los Angeles et New-York. On se croit intouchable, en bonne petite fourmi laborieuse. Et c'est bien là le piège.
Cela commence par ce petit verre de vin du vendredi soir, une fois en passant, qui t'aide à déconnecter. Une bonne bouteille, pas de la piquette à trois Euros. Tu bois par plaisir. Dans un premier temps. Par nécessité, ensuite. Quelques gorgées, quelques verres et tes idées se délient enfin. Ton cerveau s'apaise. Tu lâches prise. Cela te fait du bien. Non, tu n'as pas de problème avec l'alcool. C'est seulement une passade, dis-tu. Les semaines passent, les bouteilles vides s'entassent. Jusqu'à deux par weekend, à toi tout seul...
A ces quelques verres bienfaiteurs s'ajoutent les bières que tu t'enfiles pendant la semaine. Une, le jeudi soir. Parfois deux avec celle du mercredi. Rarement plus de trois, le même soir. D'occasionnelles, elles deviennent quotidiennes. Au moins tu dors, et tu oublies cette boule au ventre qui peu à peu a pris racine en toi et qui ne te quitte pas. Elle est là depuis si longtemps que tu ne sais même plus à quel moment elle est apparue pour la première fois. Elle fait partie de toi. Elle ronge tes jours comme la vermine ronge le bois qui tombe en poussière. Tes nuits sont ponctuées de réveils en sursaut, de rêves tourmentés et de lampe allumée à quatre heure du matin en quête d'un sommeil qui s'en est allé.
Oui, tu aurais besoin de vacances. Probablement. Mais tu n'en n'as pas le temps ni la possibilité. Ton bureau qui croule sous les dossiers, tous plus urgents les uns que les autres, et ton patron qui te presse, te l'interdisent.
Il y aura ce matin étrange où, réveillé aux aurores, tu te forceras à avaler ta tartine en refrénant une nausée violente et soudaine. Ce sera la première. Elle aussi tu feindras de n'y rien voir d'alarmant même si tu n'as jamais été dégoûté à ce point par de la nourriture. Evidemment tu te poseras des questions. Mais la boule au ventre est là pour te rappeler la montagne écrasante de travail qui n'attend que toi.
Pourtant tu résisteras. Tu endureras encore longtemps ces nuits horribles, ces rêves atroces, cet estomac noué, cette envie de vomir dès le réveil et cette sensation de courbatures lancinantes dans les jambes. Car tu n'es pas de ceux qui s'avouent vaincus à la première épreuve. T'es un dur, un vrai, un bosseur. Pas une mauviette qui s'adonne à de puériles jérémiades parce que tu travailles trop. T'es au-dessus de ça. Tu fonces tête baissée, droit dans l'arène mortifère que tu feins de ne pas voir.
Il en faudra des seaux d'eau pour enfin réussir à faire déborder le vase. Tu en auras entendu des personnes bienveillantes et conscientes de la réalité de la situation, dans un contexte professionnel particulièrement dégueulasse, pour que tu ailles enfin voir ton médecin et te mettre en arrêt maladie. Putain oui...!
Sur le coup tu n'as pas bien réalisé ce que ces deux mots anglais apposés en bas de la feuille d'arrêt signifiaient vraiment, ni mesuré la conséquence et les enjeux de la médication. Depuis une semaine tu passes le plus clair de ton temps à dormir. Tu te sens vide, épuisé, anéanti, passablement à fleur de peau.
Tout à l'heure ton boss a appelé sur ton téléphone portable. Il s'inquiète. Non pas pour toi, mais pour le boulot qui s'accumule sur ton bureau, encore et toujours. Tu es Sisyphe, voici ton rocher ! Evidemment tu n'as pas répondu et aussitôt effacé le message laissé sur le répondeur sans même avoir pris la peine de l'écouter. Sa voix, elle aussi, te file la nausée. Mais le simple fait d'avoir lu son nom s'afficher sur l'écran t'a replongé dans ce tourbillon de stress, d'angoisse et de nausée. Une agression. Oui, tu as vécu cela comme une agression.
Tout à l'heure ton boss a appelé sur ton téléphone portable. Il s'inquiète. Non pas pour toi, mais pour le boulot qui s'accumule sur ton bureau, encore et toujours. Tu es Sisyphe, voici ton rocher ! Evidemment tu n'as pas répondu et aussitôt effacé le message laissé sur le répondeur sans même avoir pris la peine de l'écouter. Sa voix, elle aussi, te file la nausée. Mais le simple fait d'avoir lu son nom s'afficher sur l'écran t'a replongé dans ce tourbillon de stress, d'angoisse et de nausée. Une agression. Oui, tu as vécu cela comme une agression.
Ce soir, alors que tu n'as pratiquement rien fait de la journée hormis deux petites heures de marche au grand air, tu te sens complètement épuisé et tu te retiens de pleurer pour rien. Tu es vide. Exténué. Brûlé.
On croit toujours que ça n'arrive qu'aux autres.