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  • 25 avril 2019

    Et in pulverem reverteris

    Effroi, stupeur et tremblements... comment décrire l'inexprimable avec de simples mots  ? Longtemps je me souviendrai de ces images absolument insoutenables de la cathédrale Notre Dame de Paris en proie au feu. Et plus longtemps encore je garderai en tête la photo de cet ami, directement frappé par le drame, photographié à son insu sur le parvis, en train d'assister au désastre, le visage littéralement pétrifié  d'effroi. 

    Cet incident a provoqué bien plus que la perte de quelques poutres et de quelques pierres. C'est un morceau de la mémoire de notre pays qui s'est trouvé directement atteint. Car Notre Dame est plus qu'une simple cathédrale. Par-delà les considérations matérielles, elle est et demeure une figure de Paris, un emblème de la France, célébré depuis des siècles par les peintres et les poètes.
    […] il est, à coup sûr, peu de plus belles pages architecturales que cette façade où, successivement et à la fois, les trois portails creusés en ogive, le cordon brodé et dentelé des vingt-huit niches royales, l'immense rosace centrale flanquée de ses deux fenêtres latérales comme le prêtre du diacre et du sous-diacre, la haute et frêle galerie d'arcades à trèfle qui porte une lourde plate-forme sur ses fines colonnettes, enfin les deux noires et massives tours avec leurs auvents d'ardoise, parties harmonieuses d'un tout magnifique, superposées en cinq étages gigantesques, se développent à l'œil, en foule et sans trouble, avec leurs innombrables détails de statuaire, de sculpture, et de ciselure, ralliés puissamment à la tranquille grandeur de l'ensemble ; vaste symphonie en pierre, pour ainsi dire ; œuvre colossale d'un homme et d'un peuple, tout ensemble une et complexe comme les Iliades et les romanceros dont elle est sœur ; produit prodigieux de la cotisation de toutes les forces d'une époque, où sur chaque pierre on voit saillir en cent façons la fantaisie de l'ouvrier disciplinée par le génie de l'artiste ; sorte de création humaine, en un mot, puissante et féconde comme la création divine dont elle semble avoir dérobé le double caractère : variété, éternité.
    Et ce que nous disons ici de la façade, il faut le dire de l'église entière ; et ce que nous disons de l'église cathédrale de Paris, il faut le dire de toutes les églises de la chrétienté au Moyen Âge. Tout se tient dans cet art venu de lui-même, logique et bien proportionné. Mesurer l'orteil du pied, c'est mesurer le géant.

    Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Paris, 1831, Livre III, chapitre 1.
    Les tintinnabulements de ses cloches ont accompagné les Français dans les heures sombres du pays autant que lors d'événements joyeux : premiers états généraux de Philippe de Bel en 1302, mariages de Marie Stuart en 1558 et de la "Reine Margot" en 1572, victoires de Louis XIV - qui est parrain du Bourdon Emmanuel, couronnement de Napoléon Bonaparte en 1804, fin de la Première Guerre mondiale en 1918, Libération de Paris en 1945... Ses voûtes ont accompagné dans leur dernière demeure maintes figures de premier plan : le Général de Gaulle, Georges Pompidou, François Mitterrand...

    Plus proche de nous encore, c'est à Notre Dame notamment qu'une foule nombreuse, croyante ou non, vint en recherche d'un peu d'apaisement et de beauté suite aux attentats du 15 novembre 2015. Ce soir-là, la séculaire Maîtrise de Notre Dame toute de bleu vêtue offrait une célébration magnifique - dont je félicitais le soir-même, ému aux larmes, l'un des principaux acteurs. Au cours de cette même célébration résonnait une Marseillaise absolument triomphale dont les voûtes aujourd'hui éventrées garderont à jamais la mémoire.

    Elle est encore debout, c'est la seule chose qui compte, et elle tiendra bon j'en suis sûr. Maintenant il faut construire l'avenir" m'écrivait-on du chevet de la vieille Dame au lendemain du drame. Dix jours après, l'émotion de l'instant s'est estompée malgré les plaies encore vives et des stigmates irréversibles. 

    Reconstruire, envers et contre les débats nauséabonds qui ont aussitôt germé ici et là, à tous les propos : théories complotistes invraisemblables, râleurs de tous poils qui s'exaspèrent des dons ostentatoirement effectués par les grosses fortunes de ce monde. Et toi, Ô invétéré râleur, qu'as-tu donné à la cause que tu défends ?

    Sans compter les polémiques sur ce que sera la Notre-Dame du futur : nouveau pastiche façon Violet le Duc ? création contemporaine intégrant les matériaux de notre époque, participant ainsi au mille-feuille architectural dont tout monument est composé ? nouvelle flèche en verre, toiture végétalisée...? Reconstruire, sans trop se hâter. Il est bon en toute chose de savoir attendre. Nos basses querelles et la précipitation - gesticulation - politique sont peu de choses face à l'éternité sereine qu'incarnait jusqu'alors le médiéval monument. 

    Au fond, c'est notre propre finitude que nous rappelle inconsciemment l'incendie de Notre Dame, ravagée en quelques heures, a la différence des drames écologiques que nous vivons depuis des décennies avec une négligence coupable.

    La déforestation, la pollution des mers, l'extinction des espèces, la montée inexorable du niveau de la mer et le réchauffement climatique dont nous ne viendrons jamais au bout en l'état actuel des choses, tout cela s'inscrit, par un parallèle que je n'avais pas vu venir et en symétrie inverse, dans un temps très long. Nous n'en avons pas vu le début. Nous n'en apercevons pas la fin. Tout le contraire de l'incendie fulgurant qui a décimé Notre Dame en quelques heures.

    En atteignant l'inatteignable et en détruisant sous nos yeux ce que la mémoire des siècles avait placé hors du temps, et dans un temps qui s'inscrit dans le temps des Hommes, c'est, par la violence inouïe des flammes doublée du désemparant sentiment d'impuissance de nos moyens pour lutter contre ce drame, notre condition mortelle qui se rappelle brutalement à nous.

    Memento, homo, quia pulvis es, 
    et in pulverem reverteris.

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