Aussi loin que je me souvienne, on nous a toujours opposés. Moi l'intello, lui le manuel ; moi le gros toujours au régime, lui le sportif qui mangeait tout ce qu'il voulait ; moi le garçon d'intérieur qui passait ses journées à étudier, lui l'homme des bois toujours à l'extérieur avec ses copains ou à faire du sport. J'écoutais du Bach et du Chopin ? Lui inondait la maison de Nirvana et de Metallica. Je lisais, il détestait ça. J'avais de bonnes notes, il redoublait. Je faisais de grandes études, il partait en voie professionnelle. Il ressemblait au père, moi à la mère. J'étudiais la musique avec des professeurs, il la travaillait à l'oreille...
Lui et moi, moi et lui. Mon frère et moi... Frères ennemis.
A vrai dire nous ne nous entendions pas vraiment. Je crois que chacun cherchait sa place l'un par rapport à l'autre, à l'affut d'une estime venant des adultes afin de nous légitimer dans notre rôle. Un rôle que nous nous écrivions au jour le jour et sur mesure, dans la discorde et la chamaillerie. Nos disputes étaient fréquentes et parfois violentes. Il faut dire que nous avons chacun un tempérament assez affirmé que nous mettions un point d'honneur à exacerber jusqu'à l'outrance.
Plus je contemple notre enfance commune et plus s'accroit ma conviction que nous nous construisions selon un subtil jeu de contrastes et d'oppositions, davantage par désir de se différencier et d'exister par soi-même, que par un choix parfaitement délibéré. La construction de soi trouve ses limites dès le commencement. Nos orientations sont le reflet d'éléments extérieurs que nous ne maîtrisons pas. Je ne sais si c'est bien ou mal, mais c'est ainsi.
Notre relation a commencé à se stabiliser un peu et à s'améliorer le jour où nous avons tous les deux quitté le cocon familial. Moi pour gagner la grande ville et entrer à l'université, lui pour un internat dans un lycée pro d'où il revenait chaque fin de semaine. Oui, je crois que c'est à partir de ce moment que nous nous sommes rapprochés, parce que nous nous voyons moins et que, malgré tout, nous avions des choses à nous dire.
A partir de cette année là, ce doit être en 1997 ou 1998, nous nous sommes un peu rapprochés et avons commencé à devenir davantage complices. Une complicité qui n'a depuis lors cessé de croître et dont je me surprends encore aujourd'hui à découvrir le potentiel inexploité.
A partir de cette année là, ce doit être en 1997 ou 1998, nous nous sommes un peu rapprochés et avons commencé à devenir davantage complices. Une complicité qui n'a depuis lors cessé de croître et dont je me surprends encore aujourd'hui à découvrir le potentiel inexploité.
Car, quoi que nos proches aient pu en dire, je ne suis pas certain que nous soyons en réalité tellement différents. Physiquement tout d'abord, nous sommes tous deux de grands gaillards taillés dans le granit, plus rugbymen que danseurs étoiles. Au-delà de ce premier aspect, nous partageons ce même sens de l'humour aigu penchant tout particulièrement vers l'humour (très) noir, ou encore l'attrait pour les bon mots qui nous vient de notre père. Lui comme moi aimons particulièrement la campagne, où nous avons grandi, et goûtons jusqu'à l'ivresse les plaisirs simples des petites choses qu'offre le quotidien dans un esprit grand gamin, tellement éloigné du sérieux qui nous habite professionnellement.
Enfin, même si nous ne partageons pas exactement le même univers, nous sommes tous les deux musiciens et la musique occupe dans nos vies une place vitale. Moi plutôt "classique", lui dans un tout autre genre. Il fait même partie d'un groupe formé avec ses potes d'enfance auxquels il est resté fidèle et qui le lui rendent bien.
Non, au fond nous ne somme pas si différents. Deux cœurs sensibles enracinés dans des valeurs communes déployées dans un imaginaire et un quotidien propres. Là réside notre identité.
Non, au fond nous ne somme pas si différents. Deux cœurs sensibles enracinés dans des valeurs communes déployées dans un imaginaire et un quotidien propres. Là réside notre identité.
Je me souviens, lorsqu'il est entré dans la vie active, ma mère était inquiète. Serait-il à la hauteur ? Serait-il suffisamment responsable et tenace ? Quand j'y repense, et quand je vois ce qu'il est devenu aujourd'hui : un chef d'entreprise respecté et reconnu pour son travail, qui ne compte pas ses heures et se bat contre vents et marée avec une pugnacité incroyable.
Oui, il a bien changé le frangin d'il y a vingt ans.
En fait, non, il n'a pas changé, il est bien toujours le même, pour qui sait le regarder. Il a toujours ce caractère de cochon, têtu comme une mule, parfois soupe au lait, qui le rend parfois insupportable, y compris pour mes parents qui ne savent par quel bout le prendre. Il a fondé une jolie petite famille et m'a fait tonton du même coup, pour le plus grand bonheur de nos parents. Et il fait un papa formidable.
Il y a quelques semaines je suis allé le voir lors d'un concert Un petit groupe qui fait son chemin et qui a trouvé son public dans un microcosme qui m'est bien exotique. Ce n'était pas la première fois que je le voyais sur sur scène, j'avais déjà eu l'occasion voici quelques années d'assister à un autre concert, à leurs débuts. Cinq garçons de trente ans, bien dans leurs basquets, les pieds sur terre, la tête un peu dans les étoiles. Ils étaient tous là, et lui parmi eux, bien à sa place, donnant le change, dans un déluge de décibels exutoires.
Et ce soir-là, en pensant à tout le chemin qu'il avait parcouru depuis nos chamailleries d'antan, peut-être pour la première fois de ma vie, je me suis vraiment senti fier de lui.
Rhooooo que c'est bien écrit (comme toujours) et agréable à lire (comme toujours).
RépondreSupprimerMerci :)
SupprimerMon meilleur ennemi, c'est mon frangin car il sait mieux que quiconque s'y prendre pour que je le déteste. Son meilleur ennemi c'est moi :-)
RépondreSupprimerEt Dieu sait que vous pouvez être parfaitement insupportable mon cher :)
SupprimerTu ne dis pas quel est votre différence d'âge.
RépondreSupprimerHa mais on peut déduire une fourchette, sachant que je vais avoir 35 ans bientôt et qu'il est lui-même trentenaire ;)
SupprimerAutre indice : je suis l'aîné.
S'est bien de vieillir, parfois des différences de jeunesse s'estompent avec le temps. Je n'avais aussi été très proche avec mes frères (plus jeunes que moi) et à la vie adulte tout s'est inversé et c'est un plaisir à chaque fois que l'on se voit.
RépondreSupprimerEn grandissant chacun s'affirme de son côté et, surtout, s'affirme sans ne plus subir l'ombre de l'autre.
SupprimerÇa exprime assez bien ce que j'ai toujours imaginé être la fraternité... Mais je n'ai pas de point de comparaison.
RépondreSupprimerJ'ignorais ce point te concernant.
SupprimerJe t'envie, je remarque à la lecture de ta note que chez moi c'est tout l'inverse.
RépondreSupprimerJ'ai jamais été très proche et de ma soeur et de mon frère.
Et depuis que tout ce petit monde est parti de la maison familiale, j'ai de contacte avec eux uniquement lors des fêtes de famille.
L'essentiel est de ne pas perdre contact. Et puis la famille hein, ça va ça vient...
SupprimerLa c'est plutôt ça part... :)
SupprimerMon commentaire est certainement très inutile mais c'est pas grave ! Ce billet est à la fois touchant et triste. Triste parce que vous avez mis du temps finalement à être unis et complices.
RépondreSupprimerOn n'a pas attendu d'être à l'article de la mort non plus. Mais on n'est loin de ce que peut raconter Pagnol de sa propre enfance, il est vrai.
Supprimertu as bien "de la chance", je n'écrirais pas la même chose !!
RépondreSupprimerPour citer Jules Vallès : « Familles, je vous hais ! »
SupprimerAh je connais le chemin inverse avec ma soeur...depuis que j'ai quitté le cocon familial il y a bien longtemps, notre complicité s'est effritée au rythme de nos vies respectives...
RépondreSupprimerBillet superbement écrit (comme d'habitude).
RépondreSupprimerMaintenant je ne peux regarder ta situation que de loin. Etant enfant unique, je n'ai pas vécu ta situation et ton rapprochement fraternel.
Personnellement la transcription du rapprochement entre toi et ton frère fait plaisir à lire. Mais je sais que je ne vivrais jamais cette situation. Et je dois avouer que c'est tant mieux me concernant. Attention je ne dis pas que je n'aurais jamais voulu avoir un frère ou une soeur ! Mais dans ma famille, certains membres ont le chic de monter les frères et soeurs entre eux. Et ce genre de conflits aboutit à des clashs. Clashs que j'ai vécu indirectement et où je m'en suis pris plein la poire...
Haha, moi et mon frère c'est très différent... et tellement pareil aussi quelque part (la "compétition", la complicité renforcée). Le frangin c'est une (voire ma) relation chouchou dans la famille :-)
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