Cela va bientôt faire un an que tu es parti. Que tu as décidé de partir... sans crier gare. Longtemps je garderai en mémoire ce moment étrange où, à plus d'une heure du matin, réveillé par un sommeil déjà déficient jouant à cache-cache, je lus cet email déchirant et stupéfiant de M. annonçant la funeste nouvelle.
Toi et moi c'est une longue histoire. On s'est connus étudiants, en 2003, dans cette bibliothèque feutrée où nous travaillions côte à côte, chacun face à notre ordinateur et à notre pile de dossiers. On s'est tout de suite très bien entendus : bosseurs, glandeurs à nos heures, procrastinateurs en puissance, amateurs de bonne bouffe et de bon vin...
Je me souviens de repas mémorables, de cuites extraordinaires, de rires et de soirées formidables de notre petit groupe. La fine équipe : O., C., N. et J. son mari, pour le noyau dur, autour duquel ont gravité d'autres personnalités hautes en couleurs comme nous l'étions chacun à notre manière.
Toi, tu étais le ronchon de la troupe. Une sorte de Jean-Pierre Bacri, toujours à grogner et grommeler, par simple plaisir. Et nous adorions ça.
Un jour est arrivée M., la très belle M. que nous avons aussitôt adoubée et qui a rapidement rejoint le groupe. Puis il y eut ce matin où, le regard mi-gêné mi-malicieux tu me confiais que, ça y était, M. et toi sortiez ensemble. Vous ne vous êtes d'ailleurs plus quittés. Ce fut ensuite l'appartement du boulevard Griffoul Dorval et nos quelques soirées à jouer à Empire Earth comme des forcenés pendant des nuits entières, à se pourrir la gueule à coups de sorciers venus faire jaillir des volcans au milieu du camp adverse. La bouteille d'armagnac vieux était toujours à portée de main, vaillamment gardée par le chat. Et des rires, encore...
Puis vint l'arrivée de J., le premier de vos trois enfants. La fac, la thèse, le boulot, la famille, les amis... une vie bien remplie, même si tu étais empêtré dans un schéma d'échec qui te plongeait régulièrement dans un océan d'idées noires dont tu me parlais parfois mais dont je ne prenais alors pas la complète mesure.
Puis vint l'arrivée de J., le premier de vos trois enfants. La fac, la thèse, le boulot, la famille, les amis... une vie bien remplie, même si tu étais empêtré dans un schéma d'échec qui te plongeait régulièrement dans un océan d'idées noires dont tu me parlais parfois mais dont je ne prenais alors pas la complète mesure.
Le départ pour Bordeaux fut certainement difficile. Te retrouver seul à gérer les trois gamins pendant que M. travaillait n'a pas été simple. Nous en avions parlé cette fois où j'étais venu vous voir au milieu des vignes. J'ai pensé à toi lorsque, pour la dernière Pâques, j'ai ouvert une bouteille de Pomerol que nous avions achetée ensemble cette fois-là.
On ne s'était pas vus depuis un petit bout de temps. Je ne saurais dire combien exactement. Six mois ? Un an ? Quelques mois plus tôt nous avions longuement discuté au téléphone. C'était en février. Je venais de commencer mon nouveau travail dans cette ville de l'Aude, non-loin de ta belle famille, tandis que toi, de ton côté tu essayais au mieux de te forger une place dans cet Est de la France où M., haut fonctionnaire, venait d'être nommée à son premier poste.
Enlisé dans une thèse de doctorat que t'évertuais à terminer mais dont tu ne voyais pas la fin, tu m'avais alors parlé de projets en Suisse, d'opportunités nouvelles, d'une lueur d'espoir dans cet océan professionnel où tu semblais te noyer un peu plus année après année.
C'est finalement un autre choix qui t'aura emporté, à n'en pas douter victime d'un de ces coups de tête sanguins dont tu avais le secret.
Celui-ci fut le dernier.
Cela fera un an dans quelques jours. L'église du village était pleine, le temps magnifique et les amis présents nombreux. La journée, couleur de briques et de chaumes, fut baignée de la très belle lumière d'un soleil radieux qui essuyait nos larmes, abondantes.
Derrière la maison de tes parents où nous nous sommes réunis ensuite, un grand arbre solitaire au milieu d'un parterre de tournesols dorés désignait du doigt le ciel, d'où tu nous observes probablement.
Cela fera un an dans quelques jours.
Un an.
Et je pense à toi souvent.
C'est un bel et tendre hommage que tu rends à ton ami ici. Entretenir le souvenir, c'est important, c'est même essentiel.
RépondreSupprimerOui, le souvenir et ne garder que le meilleur. Je vois M. dans 10 jours, avec ses trois enfants. Il y a des liens qui perdurent, par delà les événements.
SupprimerÉmouvant.
RépondreSupprimerJe devine un regret de ne pas lui avoir dit plus souvent combien tu l'aimais. Il y a des gens qui passent et d'autres même disparus sont toujours présents. Bel hommage à cet ami trop vite parti.
RépondreSupprimerNon pas de lui avoir dit plus souvent, mais de ne pas avoir été assez présent, d'avoir tardé à le rappeler et reprendre des nouvelles. Cela n'aurait probablement rien changé mais...
SupprimerOui,très bel et émouvant hommage qui donne la mesure de cette fragilité des êtres qu'on feint souvent d'oublier. Le peuple de nos absents rappelle parfois la cruauté de leurs départs.
RépondreSupprimerJ'aurais voulu écrire ce billet bien plus tôt, mais j'en étais incapable...
SupprimerNe jamais oublier, se souvenir. C'est tout ce qui compte.
RépondreSupprimerUne copine à moi dit que l'absence des gens disparus ne la touche pas. Que leur souvenir fait qu'ils sont toujours avec nous. Il y a un peu de cela, en effet. C'est très sartrien.
SupprimerMerci pour ce bel hommage. La disparition soudaine des proches est toujours très difficile. Ceux qui sont en vies peinent souvent à trouver une réponse...
RépondreSupprimerBel hommage d'autant plus émouvant qu'il a mis un an à pouvoir s'exprimer.
RépondreSupprimer