Alors que j'avais pris le clavier pour rédiger un billet sur mes seules, uniques et détestables colonies de vacances en 1989, voilà-t-y pas qu'après avoir couché seulement trois lignes, c'est le vide plat... Rien qui ne sorte de valable, pas une idée, ni même l'once d'une envie quelconque d'écrire quoi que ce soit.
Je l'avais pourtant un peu réfléchi ce billet. J'avais des images, des bruits, mille détails qui nourrissent ce souvenir. Je me souviens vaguement de la couleur ivoire sale des bâtiments années 60 disposés tout en longueur à flanc d'une côte qu'il fallait gravir à pied et qui nous essoufflait lorsque nous regagnions la base le soir venu. De l'infirmerie où toute la colo séjourna tour à tour pour cause de varicelle ayant contaminé les plus jeunes jusqu'aux plus grands. Des réfectoires et de ses lits juxtaposés sous lesquels nous cachions nos provisions de bonbons. Des camarades globalement pas super sympas voire carrément arrogants pour certains...
Et surtout il y avait le supplice des douches collectives le soir. Je m'arrangeais toujours pour passer le dernier afin de ne pas m'exposer à la vue de tous, paniqué et en proie à un puissant sentiment de malaise que provoquait alors la laideur de ma nudité déjà boulotte face à la sveltesse insouciante de mes coreligionnaires. Je parvenais tant bien que mal à limiter les dégâts jusqu'à ce soir dramatique où le moniteur en eut marre de me voir passer le dernier et me forçat à passer dans les tous premiers. Contraint, je me soumettais alors à l'autorité noyée d'incompréhension aveugle de ce jeune adulte et vécus l'un de mes premiers réels malaises, mêlé de honte. Un drame... Je lui en ai voulu terriblement. Il s'appelait David.
Et surtout il y avait le supplice des douches collectives le soir. Je m'arrangeais toujours pour passer le dernier afin de ne pas m'exposer à la vue de tous, paniqué et en proie à un puissant sentiment de malaise que provoquait alors la laideur de ma nudité déjà boulotte face à la sveltesse insouciante de mes coreligionnaires. Je parvenais tant bien que mal à limiter les dégâts jusqu'à ce soir dramatique où le moniteur en eut marre de me voir passer le dernier et me forçat à passer dans les tous premiers. Contraint, je me soumettais alors à l'autorité noyée d'incompréhension aveugle de ce jeune adulte et vécus l'un de mes premiers réels malaises, mêlé de honte. Un drame... Je lui en ai voulu terriblement. Il s'appelait David.
Je me souviens aussi d'une échange avec mon frère, lui aussi de la partie, qui me demandait lors d'une récréation entre midi et deux : "tu t'amuses toi ?". Ce à quoi je répondis "non et toi ?". Et lui de me répondre par hochement horizontal de la tête assorti d'une grimace triste signifiant "moi non plus". On se faisait chier comme des rats morts. Un véritable fiasco...
Il y avait bien des activités pour nous distraire et nous occuper. L'une d'elles était un atelier de théâtre dont le but était la production d'un petit spectacle donné en fin de colo dans les villages voisins. 1989, bicentenaire de la Révolution Française. Ça c'était vraiment, vraiment, chouette mais pas assez pour racheter le reste.
Bien évidemment, lorsque l'année suivante la question de nous réinscrire en colo pour l'été fut posée, mon frère et moi opposâmes un refus catégorique et définitif. Il n'y eu jamais d'autre fois.
De même, jamais je n'étais retourné sur ces lieux depuis 1989, alors pourtant que ma route vers ma villégiature habituelle dans le Luchonnais passe à quelques kilomètres de là seulement. Aussi, c'est un peu par hasard que la semaine dernière, me promenant du côté de Saint Bertrand de Comminges et profitant des routes de campagne pour découvrir l'arrière pays, je tombais nez à nez avec un panneau indiquant, à quelques enjambées de là, l'entrée du village de la colonie maudite.
La vitre baissée et roulant au pas, je revis alors au loin les bâtiments invariablement couleur ivoire, disposés tout en longueur à flanc de côte et reconnus, au sortir du village, la route de montagne parée de saponaires de mes souvenirs. C'est alors que je reconnus cette odeur végétale et tourbée à la fois, si particulière et caractéristique des estives après la pluie. Et je compris que la mélancolie produite par cette odeur me venait de son association inconsciente avec cet endroit.
C'était en 1989, je venais d'avoir 11 ans, et je rentrais en classe de sixième en septembre suivant.
Il y avait bien des activités pour nous distraire et nous occuper. L'une d'elles était un atelier de théâtre dont le but était la production d'un petit spectacle donné en fin de colo dans les villages voisins. 1989, bicentenaire de la Révolution Française. Ça c'était vraiment, vraiment, chouette mais pas assez pour racheter le reste.
Bien évidemment, lorsque l'année suivante la question de nous réinscrire en colo pour l'été fut posée, mon frère et moi opposâmes un refus catégorique et définitif. Il n'y eu jamais d'autre fois.
De même, jamais je n'étais retourné sur ces lieux depuis 1989, alors pourtant que ma route vers ma villégiature habituelle dans le Luchonnais passe à quelques kilomètres de là seulement. Aussi, c'est un peu par hasard que la semaine dernière, me promenant du côté de Saint Bertrand de Comminges et profitant des routes de campagne pour découvrir l'arrière pays, je tombais nez à nez avec un panneau indiquant, à quelques enjambées de là, l'entrée du village de la colonie maudite.
La vitre baissée et roulant au pas, je revis alors au loin les bâtiments invariablement couleur ivoire, disposés tout en longueur à flanc de côte et reconnus, au sortir du village, la route de montagne parée de saponaires de mes souvenirs. C'est alors que je reconnus cette odeur végétale et tourbée à la fois, si particulière et caractéristique des estives après la pluie. Et je compris que la mélancolie produite par cette odeur me venait de son association inconsciente avec cet endroit.
C'était en 1989, je venais d'avoir 11 ans, et je rentrais en classe de sixième en septembre suivant.
La mémoire des odeurs est toujours étonnante.
RépondreSupprimerJe crois que cela tient à ce que ce sens est sous exploité, alors que nos prédispositions biologiques sont toujours actives. Notre corps capte plus d'informations que ce que nous sommes préparés à traiter et à analyser consciemment.
SupprimerA me relire, je me rends compte que les odeurs sont vraiment importantes : tournesols, magnolia, feuilles de tomate...
" Quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus
RépondreSupprimerimmatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.
Un passage de Swann que je relis à l'envie :
Supprimer"Je le [le chemin] trouvai tout bourdonnant de l’odeur des aubépines. La haie formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la jonchée de leurs fleurs amoncelées en reposoir. Leur parfum s’étendait aussi onctueux, aussi délimité en sa forme que si j’eusse été devant l’autel de la Vierge et les fleurs, ainsi parées, tenaient chacune, d’un air distrait, son étincelant bouquet d’étamines, fines et rayonnantes nervures de style flamboyant comme celles qu’à l’église ajouraient la rampe du jubé ou les meneaux du vitrail et qui s’épanouissaient en blanche chair de fleur de fraisier. Combien naïves et paysannes, en comparaison, sembleraient les églantines qui, dans quelques semaines, monteraient, elles aussi, en plein soleil, le même chemin rustique en la soie unie de leur corsage rougissant qu’un souffle défait.
Mais j'avais beau rester devant les aubépines à respirer, à porter devant ma pensée qui ne savait ce qu'elle devait en faire, à perdre, à retrouver leur invisible et fixe odeur, à m'unir au rythme qui jetait leurs fleurs, ici et là, avec une allégresse juvénile et à des intervalles inattendus comme certains intervalles musicaux, elles m'offraient indéfiniment le même charme avec une profusion inépuisable, mais sans me le laisser approfondir davantage, comme ces mélodies qu'on rejoue cent fois de suite sans descendre plus avant dans leur secret."
[Marcel Proust, Du coté de chez Swann, Ed. Robert Laffont, 1987, p. 129]
Nous ne faisions plus de vin depuis longtemps et je crois ne pas être revenu dans la cave de la maison familiale depuis cette époque où enfants ayant atteint la dizaine il nous revenait le privilège d'aller tirer le vin à la barrique et de ramener les bouteilles à la table des grands. Je croyais avoir oublié cette odeur caractéristique.
RépondreSupprimerIl a suffit pourtant de quelques gouttes de vin échappées du robinet dans la cave d'un ami, quelques gouttes tombant sur la terre battue, pour que je me trouve transporté sous la haute voûte ancestrale et que je comprenne soudain jusqu'à la chimie de cette effluve endormie.
En te lisant, je me suis souvenu à mon tour de cette odeur de cave en terre battue que j'ai si bien connue chez mes grands parents, mêlée à celle du bois gonflé de vin, et de la charcuterie pendue au plafond...
SupprimerBeaux souvenirs qui heureusement pour ton frère et toi ne se sont pas multipliés. C'est très étonnant la force des odeurs et comme elles peuvent nous marquer.
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