Billet précédemment publié le 20 Février 2009
Vous en avez soupé des après-midi Tea-Time chez tante Léonie à écouter du Chopin joué par la petite nièce sur un Pleyel de concert mal accordé : "Hooo mais c'est qu'elle est au con-ser-va-touâââre !" (à prononcer avec emphase sur un relent de guimauve), à déguster des mignardises en provenance de chez Fauchon... "Hooo mooooon dieeeeeu, mais c'est purement di-viiiiin !" (guimauve, emphase, montée en orgasme, ad. lib.) et à souffrir des conversations aussi flasques qu'un English Jelly, entrecoupées du tintinnabulement de verres en cristal... ?
Plusieurs fois l'idée de vous suicider en avalant la théière vous a traversé l'esprit mais la frayeur de salir votre costume sur mesure en flanelle de Hongrie et coton de boeuf véritable a réfréné vos ardeurs auto-destructrices.
Non, vraiment, c'est au dessus de vos forces.
D'un autre coté, en y réfléchissant un tout petit peu, rien ne vous oblige à vous rendre à ces séances d'auto-mortification passive (quoique la passivité puisse être en d'autres circonstances un sujet que vous dominiez parfaitement, mais ce n'est pas le débat).
Néanmoins votre bonne éducation (et peut être un petit coté SM chez vous aussi : hein que vous aimez les fessées ?) rompue aux épreuves du Tome 37 du Savoir Vivre Illustré de Nadine de Rotchild et à de longues soirées de méditation passées agenouillé sur une règle en bois, vous interdit par principe de refuser, le mot "non" étant génétiquement banni de votre vocabulaire, au profit d'une litote formulée sous la périphrase suivante ou l'une de ses innombrables variantes :
"Ho, mais c'est avec plaisir très chère Madame / cher Monsieur (décliner la qualité) que j'accepte votre cordiale et si aimable invitation à laquelle je m'empresse d'émettre toutefois une réserve s'agissant de ma présence assidue en raison d'engagements personnels desquels je ne puis convenablement me dédire".En clair :
"Putain, je vais encore me faire chier, je peux pas dire non, mais sois pas surprise vieille peau si je me barre au bout de 15 minutes".Comme quoi tout est dans la formulation, mais ne doutez pas un instant que votre interlocuteur aura su décoder toute la finesse de votre message.
Vous pensez donc que votre cas est désespéré et que jamais vous ne parviendrez à triompher de cet enfer capiteux qui fleure bon le havane, la cannelle et le thé à la pomme verte.
Et pourtant des solutions existent qui son à votre portée. Avec un petit peu d'entraînement vous devriez rapidement obtenir des résultats tout à fait intéressants qui transformeront radicalement votre existence, et celle des autres. Après quelques séances, si vous appliquez consciencieusement les règles d'anti-savoir vivre que voici, vos hôtes devraient dans un premier temps hésiter puis progressivement renoncer à vous convier à leurs petites sauteries insalubres.
Commençons par le commencement : l'arrivée.
Choisissez d'arriver avec classe chez vos invités tout en respectant une marge de démarcation qui laissera un souvenir impérissable. Venir en coupé SLK ou Z3 est malheureusement d'une banalité affligeante qui ne fera qu'entretenir une saine bienveillance à votre égard. Arriver dans le même véhicule rempli de choux-fleurs ou de navets blancs en revanche, là, c'est la grande classe. Evitez à tout prix les légumes verts : la chlorophylle est particulièrement difficile à faire partir au nettoyage. Pour la même raison les betteraves rouges, quoique nettement plus sayantes au teint, sont à proscrire.
Vous sonnez à la porte. L'hôtesse se présente tout sourire et vous lui présentez aussitôt un bouquet de roses fraîches endimanchées de gypsophile. Quelle erreur...
Là encore les légumes peuvent s'avérer salutaires : offrez plutôt une botte de carottes avec leurs fanes ou un potiron cueilli le matin même ! Vous pouvez également la jouer exotique en enguirlandant l'accorte dame d'un collier de fleurs, à la manière des traditions tropicales, à ceci près que vous aurez pris le soin de remplacer les sus-dites fleurs par du boudin blanc (à noël), des andouillettes (si vous êtes du coté de Vires), de la saucisse de Toulouse (si vous êtes dans le coin) ou tout autre colifichet digne d'intérêt.
Quoique intriguée par votre entrée en matière inhabituelle, la maîtresse de maison a malgré tout pris le pari de vous laisser entrer et vous invite à prendre place parmi les autres invités. Soyez exemplaire et faites usage des formules de politesse, courbettes, révérences et baise-main coutumiers. Ce n'est pas le moment de briller en société par manque de savoir vivre et passer du même coup pour le plus fat des goujats.
On vous invite à prendre place autour du cocktail apéritif et un major d'homme vous demande ce que vous prenez. Ne cédez pas à la tentation de demander "un doigt" de whisky, et ce d'autant que vous avez certainement l'habitude d'un peu plus que cela. Laissez simplement la conversation s'engager. Immanquablement tante Yvonne entamera un sujet à la délicate truculence tel que ses injections de Botox, l'opération de la prostate de l'oncle Georges ou ses troubles intestinaux.
Soyez malin et profitez de ce que ces thèmes bénis sont ouverts pour introduire, si je puis parler ainsi, quelques-uns de vos sujets de prédilection. A propos de la prostate vous pouvez par exemple expliquer comment une stimulation réussie de ce petit organe peut procurer de fabuleux orgasmes ; joignant le geste à la parole si le contexte s'y prête. Cela fait surtout son effet à table, entre l'entrée et le premier plat de poisson. Employez des mots justes et pesés, ne tombez pas à pieds joints dans la trivialité d'un vocabulaire insuffisamment châtié.
Le repas est désormais avancé, la table maculée de taches diverses délimitant le rebord des assiettes, jonchée de cadavres de bouteilles de grands crus, les esprits se font de moins en moins spirituels au fur et à mesure qu'arrive l'heure des spiritueux. C'est désormais le moment d'aborder certains sujets plus lourds, que nous appellerons des sujets de fond, tels que votre première ou votre dernière sodomie, les joies de l'onanisme en bande organisée ou les mystères de la fellation.
Vous n'êtes pas obligé d'y aller tout de go : quelques allusions et sous-entendus habilement distillés sauront immiscer un malaise général chez le reste des convives qui feindra un sourire crispé. Si le charmant notaire, la trentaine, célibataire - que l'on a malicieusement placé à coté de Mademoiselle Clémence De Lafouffenfolie, espérant nouer ainsi une alliance de premier choix entre deux familles de haut rang - commence à vous faire de l'œil, il y a fort à parier que vous risquez de ne pas rentrer chez vous tout seul ce soir. C'est déjà ça de pris. En revanche, si c'est le député eczémateux invariablement placé à votre droite qui commence à vous regarder lubriquement du coin de l'œil en caressant son verre de haut en bas, il vaudra mieux pour vous que vous passiez le reste de la soirée en tête à tête avec votre poisson rouge !
Le repas est enfin terminé et arrive le rituel du combo café-thé-spiritueux-mignardises et son lot de conversations émoussées, servi dans le petit salon juste à côté, celui-là même où gît le Pleyel de concert mal accordé sur lequel votre petite-nièce / la fille du médecin / Mlle De Lafouffenfolie / ad lib (rayer les mentions inutiles) s'appliquera dans un instant à massacrer les nocturnes de Chopin ou les Arabesques de Debussy : "Mon trésoooooooor ... joue nous quelque chose de si meeer-vei-lleeeeux" ( roudoudou, guimauve, emphase, montée en orgasme, etc. etc.).
Si vous êtes toujours là, c'est que vos hôtes sont plus durs à cuire que prévu : il va falloir aller un tout petit peu plus loin et user de stratagèmes un tantinet plus démonstratifs. Tant pis pour eux, ils l'auront cherché.
Plusieurs possibilités s'offrent à vous, tout sera fonction des circonstances, de la complicité des autres convives, de votre imagination et de votre état d'hébriété.
Accoudé au piano, faites mine d'admirer le jeu de l'interprète et de vous intéresser à la partition, au besoin en lançant des regards soutenus par dessus son épaule. Il ne fait pas de doute que la jeune prodige, certainement interloquée par votre petit manège, vous posera la question qui, malgré son innocuité apparente, scellera en réalité sa perte : "Vous jouez du piano ?".
Sous leurs dehors innocents, ces 4 mots anodins vont se révéler un tremplin exceptionnel : "Très certainement mademoiselle". Et de vous emparer du clavier, chassant d'un coup de hanche au besoin la vilaine.
Prenez de grands airs, ajustez à grand bruit le strapontin en hauteur, un peu trop à gauche, pas assez reculé, non trop... faites craquer vos doigts l'un après l'autre, faites des rotations de la tête pour vous assouplir les cervicales, puis arrêtez-vous, sans décocher une parole. Restez totalement silencieux pendant une quinzaine de secondes avant de pétrir le clavier de coups de poings fulgurants assénés totalement au hasard. Avec un peu de chance vous parviendrez à faire péter une corde, ajoutant une note épicée à ce tintamarre extraordinaire.
Au bout de 30 secondes, arrêtez-vous net, observez un silence religieux, les yeux fermés, le visage légèrement crispé vous donnant l'air de savourer, dans la résonance du salon, l'évanouissement de ces harmonies voluptueuses (si si, elles le sont !). Enfin, contemplez rapidement les têtes décomposées et les sonotones encore fumants, en vous abstenant soigneusement d'exploser de rire, puis déclarez solennellement sans sourciller que vous venez d'interpréter un extrait de la première sonate figurative « Tractopelle 84 » pour piano et perceuse électrique de Einrich-Edgar Katherr Pylar, compositeur hongrois mort à la fin du XXe siècle, dont on célèbre cette année de centenaire. Reprenez alors votre place comme si de rien n'était, votre sérénité apparente constituant le gage nécessaire de vore réussite.
Vous pouvez également entreprendre le charmant notaire qui vous faisait de l'œil tout à l'heure tandis que vous parliez sodomie, celui-là même qui vous a subrepticement effleuré la main de son petit doigt tandis qu'il remplissait votre verre de vin.
Riez ostensiblement et discutez bruyamment de vos ex respectifs en veillant à ne pas rester discrets. Si le cœur vous en dit, et si votre hardiesse vous le permet, passez à l'étape suivante : le roulage de pelle. Mais il faut admettre que seuls les plus téméraires parviendront à ce stade avancé de l'anti-mondanité. Pour anodine qu'elle soit – une pelle n'engage à rien – son coté très démonstratif suscitera une envie irrepréssible de vous voir instamment débarasser le plancher dans les plus brefs délais et l'on vous fera comprendre fermement, mais courtoisement, que vous êtes désormais personae non grata en cette demeure.
Mission accomplie !
Empoignez le notaire tant qu'il est encore chaud et rentrez vite chez vous sans demander votre reste : votre nouvel ami saura à n'en point douter trouver les mots justes pour vous faire oublier votre fugace chagrin.
Du beau, du grand, du splendide Tambour Major !
RépondreSupprimerOn en redemande.
Euh... Parfois oui, mais là... non, en fait.
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