A une époque - pas si lointaine - et bien avant Becky Walters, je m'amusais à pondre des messages de répondeur téléphonique invraisemblables. L'idée m'était venue un jour, alors que je tombais à mon tour sur l'une de ces machines diaboliques habitée toutefois par une inhabituelle bienveillance. De mémoire, le message disait grosso-modo "Bonjour, ceci est un répondeur téléphonique. Respirez, tout va bien se passer..."
Ce fut révélation : Oui, il était possible de sortir du cadre habituel du "Bonjour, vous êtes bien chez Monsieur Dupont, je ne suis pas là pour le moment, veuillez laisser un message après le bip". Oui, il était possible de sortir des certes éculés de la convenance maculée d'un conformisme étouffant nappé d'un coulis assommant d'ennui. Extraordinaire. Mon imagination n'allait alors connaître aucune limite, ce qui me valut quelques beaux fou-rires.
Le premier message un peu farfelu remonte à une vingtaine d'années, alors que j'étais un jeune et pimpant étudiant. J'ignore absolument comment l'idée avait germé ni par quels cheminements improbables mon esprit tortueux avait sillonné pour aboutir à ce résultat. Toujours est-il que j'en était particulièrement fier.
Pour préciser les choses, j'avais à ma disposition un grand piano électronique Korg doté de quelques gadgets totalement inutiles lorsque l'on joue du Bach ou du Chopin, mais qui devaient en trouver une lorsque l'on l'utilisait comme piano électrique de jazz en choisissant les sonorités idoines. En appuyant sur un bouton et en tournant quelques molettes, le son se distordait en une forme de "ouin ouin" plutôt moche avec un écho digne des hautes alpes. On pouvait en régler l'intensité selon plusieurs paramètres, soit pour obtenir une distorsion légère ou au contraire pour distordre le son au point de rendre le résultat sonore parfaitement méconnaissable.
Je m'étais donc tout d'abord enregistré jouant, avec une légère distorsion, la musique du Monde aquatique Mario Bros, ce qui donnait un résultat un peu glauque, aigre-doux tout ce qu'il fallait. A la suite de quoi venait très exactement ce message :
"Bonjour, vous êtes bien dans la chambre capitonnée de Tambour Major ; les visites sont terminées pour l'instant. Vous pouvez lui laisser un message après le bip sonore. Nous lui transmettrons dès qu'on lui aura retiré sa camisole. Merci de votre visite. Et à bientôt".
Aujourd'hui encore je souris comme une andouille en le relisant. Une copine de promo avec qui je partageais une complicité toute particulière, m'avait confié un jour que, parfois, elle m'appelait en sachant que je n'étais pas là, uniquement pour entendre le répondeur, car ce message lui remontait le moral...
Le plus drôle est arrivé ce jour où, mon chauffe-eau ayant besoin d'une réparation, j'attendais urgemment un appel du plombier, mes pieds commençant à se palmer. Un soir ma mère m'appelle :
- Tu as eu le plombier ?
- Non...
- Ha, parce qu'il a appelé à la maison.
- Ha bon ?
- Oui, il m'a demandé ton numéro parce que celui que lui avait donné l'agence n'était pas le bon et qu'il tombait sur un asile psychiatrique...
- [silence gêné doublé d'un éclat de rire intérieur]
- Je lui ai dit que c'était le bon mais que ton message de répondeur était... spécial !
Le plombier finira par laisser un message et mon chauffe-eau fut réparé. Mais qu'est-ce que j'ai ri !
Une autre fois, et bien plus tard, toujours avec le même message, c'est une grand-mère pas très attentive qui me laissait des messages, malgré la teneur peu orthodoxe du propos. J'ai dû en recevoir au moins trois ou quatre. Elle appelait en réalité sa copine (que nous appellerons Ginette) pour aller prendre le thé ou aller jouer au bridge :
Mais comme mon correspondant anonyme ne laissait pas son numéro de téléphone, et qu'à cette époque le numéro ne s'affichait pas sur le combiné, il m'était impossible de la rappeler pour lui dire qu'elle faisait à chaque fois un faux numéro et que, non, ce n'était pas celui de sa copine Ginette. Et puis, un beau jour, les appels ont cessé d'eux-même. Le mystère de Ginette restera entier.
- Oui Ginette, c'est moi. Bon, je serai un peu en retard aujourd'hui mais on fait comme d'habitude vers cinq heures. Voilà... à tout à l'heure.A chaque fois je me marrais doucement car j'imaginais en effet assez mal une petite mamie de 77 ans mettre un message qui parle d'asile psychiatrique avec la musique de Mario sur son répondeur !
Mais comme mon correspondant anonyme ne laissait pas son numéro de téléphone, et qu'à cette époque le numéro ne s'affichait pas sur le combiné, il m'était impossible de la rappeler pour lui dire qu'elle faisait à chaque fois un faux numéro et que, non, ce n'était pas celui de sa copine Ginette. Et puis, un beau jour, les appels ont cessé d'eux-même. Le mystère de Ginette restera entier.
Le dernier coup mémorable remonte à mon déménagement suivant. J'avais alors enregistré un message de répondeur à la manière d'une machine à café :
"Pour un café au lait, tapez 1. Pour un expresso non sucré tapez 2. Pour un chocolat chaud tapez 3. Pour laisser un message, parlez après le bip."
Simple, décalé, drôle, un poil déstabilisant. J'aimais beaucoup.
Or il se trouve que l'immeuble que j'occupais alors était équipé d'un digicode qui appelait directement sur la ligne téléphonique, comme un appel classique. Et comme le répondeur se déclenchait automatiquement au bout de trois sonneries, il pouvait arriver qu'un visiteur impromptu se trouve nez à nez avec un digicode qui lui parle, sans personne de l'autre côté pour lui ouvrir la porte.
C'est dans ce contexte qu'un dimanche, rentrant chez moi après avoir passé le weekend ailleurs, je constate que mon répondeur clignote, m'indiquant que quelqu'un a laissé un message. Ce que me confirmait instantanément la voix robotique de l'engin : "Vous. avez. un. message. Aujourd'hui. à. cinq. heures. vingt-deux."
Puis le message à proprement parler. Une voix masculine, dans la vingtaine :
- Ho ben ça alors...!!
Décryptage : à cinq heure vingt-deux, ça ne peut être qu'un mec bourré qui rentre chez lui et qui s'amuse chemin faisant, ou qui essaye de sonner chez lui et se plante de nom. Toujours est-il que, quel qu'ait été son état de lucidité, il est resté planté devant le digicode assez longtemps pour que le répondeur se mette en route et déblatère son message d'absence.
Et là, je l'ai imaginé mon mec bourré, pas tout à fait d'aplomb avec la gravité terrestre ni très en phase avec ce qu'il se passait autour de lui. Je l'ai imaginé entendre le digicode lui asséner, à cinq heures du matin : "Pour un café au lait, tapez 1. Pour un expresso non sucré tapez 2. Pour un chocolat chaud tapez 3. Pour laisser un message, parlez après le bip." Et le gars en train d'écarquiller les yeux et de lâcher un gros :
Ça, c'était avant. Depuis que j'ai terminé mes études et que je suis rentré dans le monde sérieux des adultes qui ont un travail et des responsabilités, mes annonces de messagerie sont d'un convenu mortifère.
Il serait peut-être temps d'en changer.
Et là, je l'ai imaginé mon mec bourré, pas tout à fait d'aplomb avec la gravité terrestre ni très en phase avec ce qu'il se passait autour de lui. Je l'ai imaginé entendre le digicode lui asséner, à cinq heures du matin : "Pour un café au lait, tapez 1. Pour un expresso non sucré tapez 2. Pour un chocolat chaud tapez 3. Pour laisser un message, parlez après le bip." Et le gars en train d'écarquiller les yeux et de lâcher un gros :
- "Ho ben ça alors ...!!"J'en ri encore...
Ça, c'était avant. Depuis que j'ai terminé mes études et que je suis rentré dans le monde sérieux des adultes qui ont un travail et des responsabilités, mes annonces de messagerie sont d'un convenu mortifère.
Il serait peut-être temps d'en changer.
Allô, la chambre capitonnée de Tambour Major ?