Max Frisch, Quatrième questionnaire, 1968.
1. Savez-vous en règle générale ce que vous espérez ?
La question est vraiment trop générale pour appeler une réponse précise. Et comme elle ne l'est pas, je répondrait hors de tout contexte spécifique, c'est à dire "savez-vous ce que vous espérez en général lorsque vous faites ceci ou lorsque vous faites cela".
Alors, de manière générale, non, je ne sais jamais précisément ce que j'espère et, à vrai dire, je ne m'étais jamais posé cette question auparavant. J'avance, un peu au jour le jour en me fixant de petits objectifs réguliers, des points de mire tels qu'un rendez-vous, un concert, une sortie, des vacances. Je ne crois pas espérer continuellement quoi que ce soit. Sauf à dire que ces petits objectifs constituent des espoirs. Je n'ai en revanche pas de grands espoirs qui engageraient l'avenir de l'humanité ou une destinée particulière. Ma foi en l'humanité est relativement ténue en ce sens que je fais assez peu confiance à l'Homme pour se sauver lui-même. Nous allons droit vers le désastre et rien ne nous permettra de l'éviter.
La question est d'ailleurs quelque peu étrange : la posture qui consisterait à se demander constamment ce que l'on espère serait particulièrement étouffante car elle sous-entendrait que l'on serait en permanence en train de s'interroger sur le bienfondé de nos actes et leurs répercussions, que l'on s'interrogerait à longueur de temps sans laisser les choses se dérouler par elles-mêmes selon la fluidité insouciante et l'imprévisibilité inhérentes à la vie, comme s'il était absolument nécessaire que notre existence ait une direction que l'on connaisse et dont on aspire à la réalisation. Or je n'y crois pas.
Je crois davantage en une pluralité de possibles dont la réalisation passe à portée de notre main et dont il nous appartient de saisir les opportunités lorsqu'elles se présentent, faisant de notre destin non pas une ligne droite mais un réseau, un buisson aux ramifications multiples et aux terminaisons indénombrables.
Cette question me fait penser à celle que j'ai entendue poser voici deux ou trois semaines par un cartomancien à une jeune femme : "Quel est le secret intime de votre avenir ?". Cette dernière m'a réellement interpelé. Je ne suis pas sûr d'en avoir d'avantage la réponse...
2. Combien de fois faut-il qu'un espoir déterminé (par ex en politique) ne se réalise pas pour que vous abandonniez l'espoir en question, et y parvenez-vous sans concevoir immédiatement un autre espoir ?
Ce n'est pas tant une question de nombre de fois qu'une question de prise de conscience. Je suis quelqu'un de plutôt tenace et lorsque je désire quelque chose, je suis du genre à pouvoir m'y casser les dents à de multiples reprises jusqu'à y parvenir.
Par conséquent la seule chose qui me fasse renoncer est de comprendre que cet objectif est irréalisable, pour diverses raisons : soit que je n'en aie pas les capacités physiques, techniques, financières ou intellectuelles, soit que je ne puisse réellement avoir aucune emprise sur quoi que ce soit qui puisse me permettre de réussir. Parfois, dans mon aveuglement, les voix amicales de la sagesse me sont salutaires...
Y parviens-je sans concevoir immédiatement un autre espoir ? Oui, je le crois. Enfin, je triche : je regarde souvent dans plusieurs directions à la fois de sorte que lorsqu'une branche se rompt, je m'étais préalablement agrippé à une ou plusieurs autres au préalable.
3. La haine peut-elle engendrer un espoir?
La haine est hélàs le fondement de beaucoup d'espoirs. Certains en font même une raison de vivre.
4. Pouvez-vous penser sans espoir ?
Absolument et heureusement, pour la simple et bonne raison que j'ai peine à croire que l'espoir puisse ne plus exister, à l'image de la liberté. Espérer est un choix, une attitude, non pas un état objectif des choses.
On peut toujours espérer quelque chose, même l'impossible. C'est le fondement même de la foi.
En outre et surtout, à mon sens penser, réfléchir, ne suppose nullement l'existence d'un espoir quelconque. Élaborer un raisonnement repose d'abord sur de la logique, une structuration de la pensée, quitte à soutenir l'insoutenable s'il n'existe aucun autre moyen de s'en sortir. C'est la base même de certaines professions.
5. Qu'est-ce qui vous remplit d'espoir : la nature ? l'art ? la science ? l'histoire de l'humanité ?
Ayant assez peu de foi en l'homme, la science et l'histoire de l'humanité sont peu enclines à me faire trouver de l'espoir. L'histoire démontre en effet que nous ne tirons que peu d'enseignements des erreurs du passé, de nature à éviter de les commettre à nouveau. L'humanité contemporaine est trop tirailllée par des intérêts égoïstes immédiats qui lui permettraient de se projeter réellement dans un avenir proche et à faire le nécessaire. L'histoire nous alarme mais ce n'est pas l'histoire qui décidera pour nous.
De même, la science m'émerveille et me terrifie à la fois. Les progrès fulgurants réalisés depuis les cinquante dernières années, dans tous les domaines de la science, ont de quoi donner le vertige. Que l'on songe à l'évolution de la médecine et au traitement de certaines maladies, naguère mortelles, aujourd'hui devenues quasiment bénignes ; à la révolution qu'a permis l'informatique et le traitement de l'information, le stockage infini des connaissances et leur partage instantané à travers la planète entière en une fraction de seconde. Ou tout simplement au réfrigérateur qui permet de s'abstraire de la question vitale de la conservation de la nourriture et qui contraignait nos arrières grands-parents à une gymnastique toute singulière qui nous est aujourd'hui parfaitement inconnue. Oui, cela est réellement fabuleux, prodigieux.
Pour autant, la science m'effraie car, l'histoire nous l'a montré, il suffit de peu de choses pour que le plus beau des projets soit détourné de son innocence apparente au profit de noirs dessins. Ainsi il y a quelques semaines, un twittos interpellait Google et son dernier produit domotique "Google Home" en lui demandant si, en apprenant à sa machine à mieux lui obéir en reconnaissant sa voix et ses ordres, il n'était pas en réalité en train d'éduquer une intelligence artificielle à vocation militaire... Pour paranoïaque qu'elle soit, la question mérite d'être posée du véritable usage des données fournies, comme elle demeure pleine et entière s'agissant de l'ensemble des données personnelles éparpillées sur la toile.
Je passe un peu du coq à l'âne mais cela me fait penser à une réflexion de Hubert Reeves à la radio et qui disait en substance que la technologie nucléaire est trop grande pour l'humanité qui ne sait pas la maîtriser.
Alors pour résumer, non la science ne me remplit pas d'espoir. Elle m'émerveille et c'est déjà beaucoup.
L'art me réconcilie parfois avec l'Homme. Le beau, l'expression de l'inexprimable, que ce soit par un texte aux mots choisis, une sculpture, un dessin ou un morceau de musique, relève à mes sens d'une forme de transcendance. Dire que l'art me procure de l'espoir serait quelque peu excessif. Et pourtant, de par la joie intense qu'il est capable de me donner, je dois me résigner à dire qu'il me donne une certaine forme d'espoir. Les artistes sont des utopistes, des faiseurs d'impossible. Les utopies font avancer le monde. Pour son bien ?
S'il est en revanche une chose qui me donne de l'espoir, c'est bien la nature. Je crois que l'humanité gagnerait énormément à comprendre qu'elle n'est une partie - parfaitement accessoire - d'un tout. qui la dépasse. L'Homme se comporte tel un moucheron prétentieux. C'est une pensée qui me traverse souvent lorsque je me promène en montagne : que sommes-nous au regard de ces sommets éternels ? Cet arbre sera encore là après ma mort, ce rocher aussi... Ces prairies voyaient courrir des isards et des marmottes il y a plusieurs milliers d'années. Qu'en sera-t-il dans cent ans ? dans mille ans ? dans dix mille ans ? La nature qui nous entoure était là avant nous et, même si notre espèce venait à disparaître, maltraitée ou non, tant bien que mal, elle nous survivra. La vie trouve toujours son chemin.
6. Les espoirs personnels vous suffisent-ils ?
Mes espoirs personnels ne sont pas bien originaux. Sans entrer dans les détails, ils consistent en des choses simples qui permettent de garder le cap, de ne pas perdre pied : espérer continuer à être en bonne santé demain, gagner assez d'argent pour ne pas tomber dans la précarité, espérer en la fidélité de mes amis et en une certaine forme d'insouciance qui fait que la vie est belle.
Poser la question des espoirs personnels, c'est aussi poser la question des espoirs collectifs, des espoirs que fondent les autres ou de ceux auxquels nous nous associons. Je parlerai alors non pas d'espoirs mais d'idéaux. Or je ne crois pas être un grand défenseur d'idéaux en ce sens que je n'ai pas l'âme d'un militant.
Oui, évidemment je souterais la paix dans le monde. Oui, bien sûr je souhaiterais que l'Humanité cesse de détruire la planète. Encore une fois, oui je souhaiterais que tout le monde puisse manger à sa faim. Sauf qu'il m'est impossible à moi seul de changer la face du monde. Je ne suis doté d'aucun super-pouvoir. Je crois d'avantage en des effets à petite échelle, chacun agissant en conscience selon sa mesure et ses capacités. C'est de la multiplicité des actions concrètes que viendra un changement des choses.
7. Espérez-vous qu'il y ait un au-delà ?
Vaste question. Après l'avoir tordue dans tous les sens et malmené toutes les réponses que j'ai pu lui apporter, je dirais oui. Parce que je suis convaincu que l'univers ne se limite pas à ce que nos sens permettent d'appréhender. Parce que je crois en une transcendance. Parce que l'idée d'un au-delà est vertigineusement étourdissante.
Pour être précis, je ne sais pas si un au-delà existe. Est-ce que j'espère qu'un au-delà existe, vraisemblablement, sans pour autant que j'y croie avec une détermination farouche. Cela dit, cette posibilité serait excitante.
Pour être précis, je ne sais pas si un au-delà existe. Est-ce que j'espère qu'un au-delà existe, vraisemblablement, sans pour autant que j'y croie avec une détermination farouche. Cela dit, cette posibilité serait excitante.
8. En fonction de quoi réglez-vous vos actions, décisions, prévisions, réflexions quotidiennes si ce n'est en fonction d'un espoir vague ou précis ?
Mes actions quotidiennes sont d'abord réglées sur les règles du jeu social, selon un certain conformisme inculqué par la bonne éducation de mes parents, et corroborées par des valeurs morales reçues en héritage familial.
Au-delà de ce premier aspect des choses, effectivement mes actions quotidiennes sont réglées, guidées par les nombreux petits objectifs dont je parlais plus haut en question n°6.
Des petits espoirs qui, mis bout à bout, forment peut-être le chemin d'un vie.
Jamais. En éternel optimiste, l'absence d'espoir en quoi que ce soit m'est inaccessible.9. Avez-vous déjà été une journée ou une heure effectivement sans le moindre espoir, y compris sans l'espoir que tout finisse un jour, du moins pour vous ?
Et vous, que répondriez-vous ?
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