Confinement oblige, les sorties se font rares et contingentées. Heureusement, il est encore possible de mettre le museau dehors pour aller se dégourdir des guiboles dans un rayon d'un kilomètre. Pour qui a l'habitude de marcher, un kilomètre c'est vraiment pas loin. C'est l'objectif me direz-vous. Mais ça limite sensiblement l'horizon de nos pérégrinations.
Alors, suivant les conseils de la petite souris blogueuse et néanmoins copine
Nekonezumi, je me suis donc mis à profiter de mon heure quasi-quotidienne de sortie pour aller là où je ne vais jamais : explorer mon quartier.
Je l'avais plusieurs fois traversé à la va-vite, sans réellement prendre le temps de le sillonner, un peu comme l'on fait pour tout ce qui est à portée de semelle : on se dit qu'on a le temps, que le jour où l'on voudra le faire on n'aura aucun effort à fournir. Et à force de passer devant sans jamais y être allé, on finit par l'intégrer totalement au décors sans plus attiser la curiosité. Erreur...
Par chance, une bonne partie de mon secteur est formée d'un dédale de petites rues qui se croisent et se recroisent dans tous les sens. Et, Ô bonheur, elles sont parsemées de petites maisons, édifiées à la fin du XIXe pour certaines, dans les années 70 pour d'autres. Toutes plus mignonnes les unes que les autres, elles possèdent des arbres, des jardins... Le rêve, à prix d'or. En ce moment, la nature reprenant ses droits, les oiseaux y braillent dans tous les sens. Quels punks...
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Oui oui, vous êtes bien en centre-ville... |
Malheureusement, la pression immobilière à Toulouse est assez phénoménale. Il suffit de se rendre quelques rues plus loin pour s'en rendre compte. Le changement de décors se fait impressionnant. Les barres des années 60 à l'entretien perfectible laissent peu à peu la place à des constructions nouvelles, toutes identiquement laides. Celles bâties à la fin des années 1990 portent déjà les stigmates d'une usure prématurée.
Au milieu de ce marasme, coincé entre deux entrepôts, un bâtiment à l'abandon depuis des années m'a toujours fasciné. Sa façade parfaitement symétrique impressionne d'emblée. La porte semble condamnée par une plaque en fer. Tout autour, trois niveaux de fenêtres aux volets fermés comme autant d'yeux aux paupières closes, regardent dans le vide. En journée, deux d'entre eux, vraisemblablement entrouverts par le vent, offrent ça et là au regard curieux, des papiers peints à fleurs d'une autre décennie.
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La maison kifépeur. |
Par endroit, un morceau irrégulier de crépi est tombé, laissant apparaître la brique usée, comme les chairs putréfiées d'un cadavre affleureraient sous la peau en décomposition. Le soir, les ombres noires accentuent davantage encore l'austérité massive de l'ensemble et la sensation oppressante qui s'en dégage. Un décors propice à un film d'horreur...
A quelques rues de là, j'eus la surprise de découvrir que la belle maison que j'avais photographiée il y a dix ans, pour
ma première contribution à
la photo du mois, avait disparu. J'ai cru tout d'abord m'être trompé et avoir bifurqué au mauvais endroit, que ma mémoire me jouait des tours. Mais non. A la place de la jolie maison toulousaine à la frise de faïence art-déco, un trou béant de plusieurs mètres d'où émerge une forêt de tiges et de poutrelles métalliques. Là, pousse un énième immeuble certainement semblable à ceux que l'on voit un peu partout et qui uniformisent les villes. Tristesse...
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Rasée, éliminée, oubliée... |
Oui, tristesse car cette frénésie immobilière grignote peu à peu ce qui fait l'identité des nos villes et villages. Ce qui fait que Toulouse n'est ni Nancy ni Orléans. Or, à l'exception globale des centres-villes protégés en raison de l'effet carte postale bénéfique au tourisme, les petits quartiers sont laissés à la libre loi du marché. Le moins offrant vend au plus cupide. On rase sans remord et on construit sans vergogne. La mémoire s'efface.
Il paraît que c'est le sens du progrès...