Cela devait faire 20 ans que je n'avais pas revu Cyril jusqu'à ce soir. Camarades de classe à l'école primaire nous avons passé quelques années dans la même petite école privée, celle où tout le monde se connaissait, celle où les parents étaient plus ou moins tous amis les uns avec les autres, celle où nous appelions nos maîtresses par leur prénom.
Je ne me souviens pas exactement de comment nous nous sommes connus, peut être tout simplement dès la petite section - comme ce fut le cas avec Jérôme - ou peut être en maternelle... Ma mémoire a des limites. Les souvenirs sont en revanche plus clairs quoique imprécis lors que l'on s'approche du CP.
Cyril n'était pas un "bon" élève, c'est à dire le genre à apprendre parfaitement et régulièrement ses leçons ou à récolter les bonnes notes dont les carnets de certains se trouvaient pourtant remplis. A cette médiocrité intellectuelle pour laquelle il n'est pas à blâmer, nous avons tous nos talents, s'ajoutait une lenteur pathologique qui le conduisait régulièrement à être privé de petite récréation (celle de 10 heures) pour finir de recopier la leçon du jour que l'enseignante nous avait écrit au tableau, quelques lignes tout au plus. Je me souviens parfaitement en outre que Cyril avait une écriture assez peu agréable qui se trouvait souvent qualifiée "écriture de chat", sans trop que je comprisse alors ce que cela signifiait exactement.
Élève médiocre, Cyril était un camarade agréable, sympa, marrant, de bonne compagnie, avec qui j'ai passé un nombre d'heures incalculable tandis que les autres jouaient au foot avec une balle de tennis, deux pneus délimitant la cage des buts. Je ne sais plus trop quelle était la teneur de nos conversations mais j'ai le souvenir de longs instants passés après le repas de midi servi à la cantine, à arpenter la cour de récréation en longeant le mur d'enceinte pour ne pas gêner la partie de foot. Nous nous sommes chamaillés quelques fois, battus même car il me semble sans en être tout à fait certain, que Cyril avait un côté bagarreur ou du moins soupe au lait, doublé d'une certaine fierté personnelle qui le conduisait régulièrement à réagir au quart de tour et à en venir aux mains (et aux pieds) assez facilement.
Parallèlement, et paradoxalement, je conserve de Cyril une impression d'effacement que je ne parvenait pas à analyser à l'époque. Prodigue en paroles avec ses amis, il devenait transparent face à nos institutrices ou aux personnes qu'il ne connaissait pas. Et, de façon assez contradictoire il pouvait être relativement dissipé en classe, tête de turc facile à punir, il écopait avec une constance forçant l'admiration de punitions plus ou moins méritées, selon l'humeur de la maîtresse.
C'est imperceptiblement mais sûrement que nos liens ont commencé à se distendre lorsque, admis en CM2, lui était contraint de redoubler son CM1, à moins que ce ne fut son passage en 6° qui ait été retardé d'un an... je ne sais plus exactement. Depuis lors, c'était en 1989, nous ne nous sommes pas revus. Tout au plus nous sommes nous aperçus non mutuellement en ville un samedi de marché, les rares fois où je m'y suis rendu, de sorte que ni l'un ni l'autre n'avions osés nous interpeller.
Un souvenir très fort que je garde de Cyril c'est son père. Un père très dur, omniprésent, écrasant, en présence duquel il ne parlait pas presque pas, et dont la simple évocation provoquait la sensation amphibologique d'une grande admiration mêlée d'un sentiment puissant de crainte. Je l'ignorais alors, ma mère me le révélera seulement plus tard, mais les coups de ceinturons faisaient partie intégrante de l'éducation que Monsieur C prodiguait à son fiston.
Lorsque Jérôme m'annonça que Cyril viendrait ce soir au barbecue organisé chez les parents de S, j'éprouvais l'étrange mais contrasté sentiment de joie de revoir ce camarade d'enfance perdu de vue depuis ma foi très longtemps, quoique nos parents se connaissent et se croisent au hasard de leurs pérégrinations, et celui de l'angoisse de n'avoir rien à lui dire tant les années écoulées nous ont séparés, doublée d'un sentiment de pas envie de revoir le Cyril affable et parfois pleurnichard que j'avais connu étant bambin. Quelle ne fut pas ma surprise...
En lieu et place d'un être effacé, immature, d'un ado à peine dégrossi toujours empêtré dans son oedipe, c'est un homme de 31 ans que j'ai rencontré. Si physiquement il n'a pas tellement changé, ses traits ont mûri de quelques rides encore discrètes au coin des yeux. Désormais pompier marin depuis une dizaine d'année, il voyage aux quatre coins du monde sous les flammes du drapeau tricolore qu'il honorera dans quelques heures pour la fête nationale. Adulte, mature, cultivé, curieux et vif d'esprit, nous avons passé la soirée à discuter sans lassitude de tout un tas de choses, comme si nous nous étions quittés avant hier, tentant ça et là en fin de soirée quelques taquineries fines pour vérifier que la longueur d'ondes était la bonne. Quitter l'étouffant cocon familial et la rude éducation paternelle aura sûrement été la meilleure chose qui ait pu lui arriver pour lui permettre d'enfin s'épanouir sans avoir à supporter le joug pesant de cette épée de damocles injuste et mortifiante. L'autorité militaire, si elle peut s'avérer rude, le sera toujours moins que l'injustice du ceinturon de cuir qui blesse mais jamais ne félicite.
Peut doué pour les études, c'est à une autre école qu'il s'est formé : celle de la vie et des voyages. Au cours des quelques heures que j'ai pu passer à la même tablée, j'ai lu en lui une richesse intérieure, un vécu, unique, qui ne s'apprend pas dans les livres ni sur les bancs de la meilleure des universités du monde. Le Cyril d'hier a enfin pu devenir le Cyril d'aujourd'hui, un Cyril épanoui, bien dans sesbaskets rangers, en phase avec son temps, et capable d'admirer la beauté des choses là où elle se trouve.
Pendant ce temps, à deux mètres de moi, à peine 3 phrases furent échangées avec S - que je connais depuis la même époque - qui a pourtant un poste à haute responsabilité dans une multinationale d'informatique, marié et un enfant, mais dont la scolarité coûteuse dans l'une des plus prestigieuses écoles de Paris puis sa vie tournée vers la réussite de sa carrière n'ont peut être pas appris l'essentiel...
Je ne me souviens pas exactement de comment nous nous sommes connus, peut être tout simplement dès la petite section - comme ce fut le cas avec Jérôme - ou peut être en maternelle... Ma mémoire a des limites. Les souvenirs sont en revanche plus clairs quoique imprécis lors que l'on s'approche du CP.
Cyril n'était pas un "bon" élève, c'est à dire le genre à apprendre parfaitement et régulièrement ses leçons ou à récolter les bonnes notes dont les carnets de certains se trouvaient pourtant remplis. A cette médiocrité intellectuelle pour laquelle il n'est pas à blâmer, nous avons tous nos talents, s'ajoutait une lenteur pathologique qui le conduisait régulièrement à être privé de petite récréation (celle de 10 heures) pour finir de recopier la leçon du jour que l'enseignante nous avait écrit au tableau, quelques lignes tout au plus. Je me souviens parfaitement en outre que Cyril avait une écriture assez peu agréable qui se trouvait souvent qualifiée "écriture de chat", sans trop que je comprisse alors ce que cela signifiait exactement.
Élève médiocre, Cyril était un camarade agréable, sympa, marrant, de bonne compagnie, avec qui j'ai passé un nombre d'heures incalculable tandis que les autres jouaient au foot avec une balle de tennis, deux pneus délimitant la cage des buts. Je ne sais plus trop quelle était la teneur de nos conversations mais j'ai le souvenir de longs instants passés après le repas de midi servi à la cantine, à arpenter la cour de récréation en longeant le mur d'enceinte pour ne pas gêner la partie de foot. Nous nous sommes chamaillés quelques fois, battus même car il me semble sans en être tout à fait certain, que Cyril avait un côté bagarreur ou du moins soupe au lait, doublé d'une certaine fierté personnelle qui le conduisait régulièrement à réagir au quart de tour et à en venir aux mains (et aux pieds) assez facilement.
Parallèlement, et paradoxalement, je conserve de Cyril une impression d'effacement que je ne parvenait pas à analyser à l'époque. Prodigue en paroles avec ses amis, il devenait transparent face à nos institutrices ou aux personnes qu'il ne connaissait pas. Et, de façon assez contradictoire il pouvait être relativement dissipé en classe, tête de turc facile à punir, il écopait avec une constance forçant l'admiration de punitions plus ou moins méritées, selon l'humeur de la maîtresse.
C'est imperceptiblement mais sûrement que nos liens ont commencé à se distendre lorsque, admis en CM2, lui était contraint de redoubler son CM1, à moins que ce ne fut son passage en 6° qui ait été retardé d'un an... je ne sais plus exactement. Depuis lors, c'était en 1989, nous ne nous sommes pas revus. Tout au plus nous sommes nous aperçus non mutuellement en ville un samedi de marché, les rares fois où je m'y suis rendu, de sorte que ni l'un ni l'autre n'avions osés nous interpeller.
Un souvenir très fort que je garde de Cyril c'est son père. Un père très dur, omniprésent, écrasant, en présence duquel il ne parlait pas presque pas, et dont la simple évocation provoquait la sensation amphibologique d'une grande admiration mêlée d'un sentiment puissant de crainte. Je l'ignorais alors, ma mère me le révélera seulement plus tard, mais les coups de ceinturons faisaient partie intégrante de l'éducation que Monsieur C prodiguait à son fiston.
Lorsque Jérôme m'annonça que Cyril viendrait ce soir au barbecue organisé chez les parents de S, j'éprouvais l'étrange mais contrasté sentiment de joie de revoir ce camarade d'enfance perdu de vue depuis ma foi très longtemps, quoique nos parents se connaissent et se croisent au hasard de leurs pérégrinations, et celui de l'angoisse de n'avoir rien à lui dire tant les années écoulées nous ont séparés, doublée d'un sentiment de pas envie de revoir le Cyril affable et parfois pleurnichard que j'avais connu étant bambin. Quelle ne fut pas ma surprise...
En lieu et place d'un être effacé, immature, d'un ado à peine dégrossi toujours empêtré dans son oedipe, c'est un homme de 31 ans que j'ai rencontré. Si physiquement il n'a pas tellement changé, ses traits ont mûri de quelques rides encore discrètes au coin des yeux. Désormais pompier marin depuis une dizaine d'année, il voyage aux quatre coins du monde sous les flammes du drapeau tricolore qu'il honorera dans quelques heures pour la fête nationale. Adulte, mature, cultivé, curieux et vif d'esprit, nous avons passé la soirée à discuter sans lassitude de tout un tas de choses, comme si nous nous étions quittés avant hier, tentant ça et là en fin de soirée quelques taquineries fines pour vérifier que la longueur d'ondes était la bonne. Quitter l'étouffant cocon familial et la rude éducation paternelle aura sûrement été la meilleure chose qui ait pu lui arriver pour lui permettre d'enfin s'épanouir sans avoir à supporter le joug pesant de cette épée de damocles injuste et mortifiante. L'autorité militaire, si elle peut s'avérer rude, le sera toujours moins que l'injustice du ceinturon de cuir qui blesse mais jamais ne félicite.
Peut doué pour les études, c'est à une autre école qu'il s'est formé : celle de la vie et des voyages. Au cours des quelques heures que j'ai pu passer à la même tablée, j'ai lu en lui une richesse intérieure, un vécu, unique, qui ne s'apprend pas dans les livres ni sur les bancs de la meilleure des universités du monde. Le Cyril d'hier a enfin pu devenir le Cyril d'aujourd'hui, un Cyril épanoui, bien dans ses
Pendant ce temps, à deux mètres de moi, à peine 3 phrases furent échangées avec S - que je connais depuis la même époque - qui a pourtant un poste à haute responsabilité dans une multinationale d'informatique, marié et un enfant, mais dont la scolarité coûteuse dans l'une des plus prestigieuses écoles de Paris puis sa vie tournée vers la réussite de sa carrière n'ont peut être pas appris l'essentiel...
Ce billet résonne... étrangement chez moi. Une autre bien jolie histoire de résilience en tout cas. Longue vie à cette amitié retrouvée, même si tout n'est pas toujours aussi simple dans le tourbillon de l'existence.
RépondreSupprimerJoli post :-)
RépondreSupprimer@ Eric : Effectivement, c'est très troublant. Cyril aurait pu écrire exactement la même chose, s'il ne l'a déjà fait (à moins que, à moins que...)
RépondreSupprimer@ Gregoo : Merci !
"Si votre enfant est un salaud, un vrai connard, une tête pleine d'eau, faîtes en donc un militaire, alors il fera carrière, sur un navire dans un bureau.
RépondreSupprimerMais s'il est bon, mais s'il est beau, même s'il est un peu alcolo, qu'il fasse son tour de la terre, sur un joli bateau en fer, mais pas sul'pont du Clémenceau3
Dieu qu'elle est dure, l'histoire des trois matelots, presqu'aussi dure que l'pont du Clémenceau"
Renaud (fallait-il préciser).