Je me faisais une joie particulière d'aller assister à une représentation des Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc donnés ces dernières semaines par l'opéra de Toulouse à l'ombre de à la Halle aux Grains.
Ma première rencontre avec ce compositeur remonte quelques années en arrière. Je ne sais plus exactement s'il s'agissait lorsque je collaborais, en qualité de petites mains, à un programme de musique pour orgue et orchestre de chambre durant lequel fut interprété notamment le Concerto pour Orgue en Sol mineur ou lorsque le chœur, dont je faisais alors partie, avait pris le pari, sous l'impulsion d'un jeune chef de chœur à la carrière déjà prometteuse, de s'attaquer aux redoutables Sécheresses dont je m'amusais encore vendredi à égrenner les paroles sur Facebook conjointement avec Méchant Chimiste.
Quoiqu'ayant alors entendu de loin en loin parler de ce compositeur, la première audition de l'une de ces œuvres fut l'occasion d'un véritable choc esthétique aussi brutal qu'irréversible, au moins aussi fort que le fut la découverte bouleversante de l'architecture de Gaudi lors d'un voyage scolaire à Barcelone à la fin de mes années collège.
Je fus particulièrement envoûté par ses harmonies tantôt transparentes comme un éclat de givre frappé par un trait de lumière hivernale, rayonnant en éclats d'une beauté indicible ; tantôt brutes, granitiques, puissamment masculines, dotées d'une tension à la limite de l'explosion, toujours sur le seuil de la rupture. Mais à chaque fois une douceur sensuelle, une chaleur étourdissante, une émotion irrésistible qui poignardait chaque parcelle de mon être. Autant vous dire que je buvais littéralement ces accords dont j'espérais de chacun qu'il ne fut pas le dernier.
Par la suite, je dévorais à peu près tout ce que ce compositeur avait pu écrire et tombais forcément nez à nez avec les Dialogues des Carmélites, oeuvre majeure dans le catalogue du maître.
Lorsque je vis que les Dialogues figuraient au programme de la saison 2009-2010, mon sang ne fit qu'un tour et ma carte bleue également !
Sur un texte d'une rare richesse de Georges Bernanos, les Dialogues nous replongent en 1794, pendant la Terreur, sur les pas des Carmélites de Compiègne qui furent guillotinées après avoir fait vœu de martyre, montant à l'échafaud en chantant le Salve Regina.
J'attendais beaucoup de cette représentation qui me laisse en définitive un sentiment vaguement mitigé.
Le décor unique d'une ingénieuse simplicité permet, par le truchement d'un jeu d'éclairages habile et d'un placement rigoureux des acteurs de suggérer les différents lieux et espaces où se déroule l'action, ou plutôt devrais-je dire les actions.
Le découpage de l'opéra n'est en effet pas conventionnel : il s'agit d'une suite de tableaux s’enchaînant l'un l'autre parfois sans transition, comme une grande fresque dont on n'aurait exhumé les fragments les plus représentatifs et dont l'unité serait conférée par l'unité stylistique. Point de fioritures : la richesse harmonique et la beauté du texte se suffisent à eux même sans qu'il soit besoin d'artifices. Un austérité de rigueur pour un couvent me direz-vous !
Servantes de Dieu, les Carmélites sont femmes avant tout, et c'est là l'une des grandes forces du texte de Bernanos, superbement mis en musique, que de nous livrer des Carmélites vacillantes lorsque plane l'ombre de la guillotine, et de la mort en général. La peur, dans toutes ses dimensions, est en effet un élément moteur de toute l'oeuvre.
Confrontées à la peur de la mort, d'abord par celle de leur Prieure, Madame de Croissy, qui aura des paroles extrêmement dures avant de rendre son dernier souffle : " J'ai médité sur la mort chaque heure de ma vie, mais aujourd'hui cela ne me sert à rien ! ". Quel sublime aveu de faiblesse venant d'une femme à la foi inébranlable. Voilà qui laisse à réfléchir : si les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit, peut être ne sont-ils réellement égaux que face à la mort...
La mort, et la peur qu'elle suscite, nos pauvres nones y seront confrontées plus cruellement encore puisque menée jusqu'à l'échafaud et... couic !
La dernière scène m'a un peu déçu... là où j'attendais un paroxysme émotionnel et une déferlante de larmes bouillonnantes, ben j'avoue que le rendez-vous fut manqué.
Les premières notes remuèrent en moi quelques fragments de sentiments encore un peu vifs, dont l'effet lacrymogène s'estompait bien rapidement. Peu d'émotion, pas de magie, des acteurs trop dans la précision métronomique de leur déplacement pour que cela paraisse naturel... déçu !
A titre d'exemple, ce que l'on peut faire de mieux, avec une économie de moyen exemplaire :
Le sentiment mitigé de cette représentation n'est d'ailleurs que très partiellement imputable aux solistes. Nous avons eu droit à une Sylvie Brunet dans le rôle de Mme De Croissy au sommet de son art. On ne pouvait en revanche pas en dire autant de l'orchestre... décalé dès les premières minutes, on a pu voir un chef tenter frénétiquement de ramener le bétail à l'étable en bon ordre sans trop emboutir la musicalité de l'ensemble. Cela n'aurait été qu'un moindre mal si la justesse de l'ensemble avait été irréprochable... si vous voyez ce que je veux dire.
Bref un texte formidable, une musique sublime, une scénographie globalement réussie, mais un orchestre pas à la hauteur.
Un ami m'a laissé entendre que dans une interview, le chef disait que Poulenc avait écrit l'oeuvre au piano puis l'avait transcrite pour orchestre en gonflant tout, avec des redoublements d'octaves, et que son rôle consistait à "dégraisser la musique"... le guillotinage des nonnes n'étant pour lui que "anecdotique"... Curieuse lecture de l'oeuvre qui ne convainc pas !
J'aurai au moins la chance de pouvoir dire que j'ai vu une fois dans ma vie l'une des œuvres que j'apprécie le plus, tout en gardant l'espoir de la revoir dans une meilleure version !
Méchant Chimiste y était aussi.
Ma première rencontre avec ce compositeur remonte quelques années en arrière. Je ne sais plus exactement s'il s'agissait lorsque je collaborais, en qualité de petites mains, à un programme de musique pour orgue et orchestre de chambre durant lequel fut interprété notamment le Concerto pour Orgue en Sol mineur ou lorsque le chœur, dont je faisais alors partie, avait pris le pari, sous l'impulsion d'un jeune chef de chœur à la carrière déjà prometteuse, de s'attaquer aux redoutables Sécheresses dont je m'amusais encore vendredi à égrenner les paroles sur Facebook conjointement avec Méchant Chimiste.
Quoiqu'ayant alors entendu de loin en loin parler de ce compositeur, la première audition de l'une de ces œuvres fut l'occasion d'un véritable choc esthétique aussi brutal qu'irréversible, au moins aussi fort que le fut la découverte bouleversante de l'architecture de Gaudi lors d'un voyage scolaire à Barcelone à la fin de mes années collège.
Je fus particulièrement envoûté par ses harmonies tantôt transparentes comme un éclat de givre frappé par un trait de lumière hivernale, rayonnant en éclats d'une beauté indicible ; tantôt brutes, granitiques, puissamment masculines, dotées d'une tension à la limite de l'explosion, toujours sur le seuil de la rupture. Mais à chaque fois une douceur sensuelle, une chaleur étourdissante, une émotion irrésistible qui poignardait chaque parcelle de mon être. Autant vous dire que je buvais littéralement ces accords dont j'espérais de chacun qu'il ne fut pas le dernier.
Par la suite, je dévorais à peu près tout ce que ce compositeur avait pu écrire et tombais forcément nez à nez avec les Dialogues des Carmélites, oeuvre majeure dans le catalogue du maître.
Lorsque je vis que les Dialogues figuraient au programme de la saison 2009-2010, mon sang ne fit qu'un tour et ma carte bleue également !
Sur un texte d'une rare richesse de Georges Bernanos, les Dialogues nous replongent en 1794, pendant la Terreur, sur les pas des Carmélites de Compiègne qui furent guillotinées après avoir fait vœu de martyre, montant à l'échafaud en chantant le Salve Regina.
J'attendais beaucoup de cette représentation qui me laisse en définitive un sentiment vaguement mitigé.
Le décor unique d'une ingénieuse simplicité permet, par le truchement d'un jeu d'éclairages habile et d'un placement rigoureux des acteurs de suggérer les différents lieux et espaces où se déroule l'action, ou plutôt devrais-je dire les actions.
Le découpage de l'opéra n'est en effet pas conventionnel : il s'agit d'une suite de tableaux s’enchaînant l'un l'autre parfois sans transition, comme une grande fresque dont on n'aurait exhumé les fragments les plus représentatifs et dont l'unité serait conférée par l'unité stylistique. Point de fioritures : la richesse harmonique et la beauté du texte se suffisent à eux même sans qu'il soit besoin d'artifices. Un austérité de rigueur pour un couvent me direz-vous !
Servantes de Dieu, les Carmélites sont femmes avant tout, et c'est là l'une des grandes forces du texte de Bernanos, superbement mis en musique, que de nous livrer des Carmélites vacillantes lorsque plane l'ombre de la guillotine, et de la mort en général. La peur, dans toutes ses dimensions, est en effet un élément moteur de toute l'oeuvre.
Confrontées à la peur de la mort, d'abord par celle de leur Prieure, Madame de Croissy, qui aura des paroles extrêmement dures avant de rendre son dernier souffle : " J'ai médité sur la mort chaque heure de ma vie, mais aujourd'hui cela ne me sert à rien ! ". Quel sublime aveu de faiblesse venant d'une femme à la foi inébranlable. Voilà qui laisse à réfléchir : si les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit, peut être ne sont-ils réellement égaux que face à la mort...
La mort, et la peur qu'elle suscite, nos pauvres nones y seront confrontées plus cruellement encore puisque menée jusqu'à l'échafaud et... couic !
La dernière scène m'a un peu déçu... là où j'attendais un paroxysme émotionnel et une déferlante de larmes bouillonnantes, ben j'avoue que le rendez-vous fut manqué.
Les premières notes remuèrent en moi quelques fragments de sentiments encore un peu vifs, dont l'effet lacrymogène s'estompait bien rapidement. Peu d'émotion, pas de magie, des acteurs trop dans la précision métronomique de leur déplacement pour que cela paraisse naturel... déçu !
A titre d'exemple, ce que l'on peut faire de mieux, avec une économie de moyen exemplaire :
Le sentiment mitigé de cette représentation n'est d'ailleurs que très partiellement imputable aux solistes. Nous avons eu droit à une Sylvie Brunet dans le rôle de Mme De Croissy au sommet de son art. On ne pouvait en revanche pas en dire autant de l'orchestre... décalé dès les premières minutes, on a pu voir un chef tenter frénétiquement de ramener le bétail à l'étable en bon ordre sans trop emboutir la musicalité de l'ensemble. Cela n'aurait été qu'un moindre mal si la justesse de l'ensemble avait été irréprochable... si vous voyez ce que je veux dire.
Bref un texte formidable, une musique sublime, une scénographie globalement réussie, mais un orchestre pas à la hauteur.
Un ami m'a laissé entendre que dans une interview, le chef disait que Poulenc avait écrit l'oeuvre au piano puis l'avait transcrite pour orchestre en gonflant tout, avec des redoublements d'octaves, et que son rôle consistait à "dégraisser la musique"... le guillotinage des nonnes n'étant pour lui que "anecdotique"... Curieuse lecture de l'oeuvre qui ne convainc pas !
J'aurai au moins la chance de pouvoir dire que j'ai vu une fois dans ma vie l'une des œuvres que j'apprécie le plus, tout en gardant l'espoir de la revoir dans une meilleure version !
Méchant Chimiste y était aussi.
J'aime beaucoup les "Dialogues". Pas pour la religiosité tu t'en doutes, mais pour l'engagement, et comme tu le dis si bien que la mort est sans doute la seule chose qui nous laisse tous également désemparés.
RépondreSupprimerJ'en avais vu une très belle mise en scène il y quelques années à l'Opéra de Madrid, très sobre et dépouillée, dont le final m'avait vraiment donné la chair de poule. Les Carmélites debout, de blanc vêtues, réparties sur la scène, les bras en croix, un spot sur chacune d'entre elles, le tout sur fond noir. Elles s'agenouillaient les unes après les autres et se mettaient face contre le sol, au fur et mesure du Salve Regina. A chaque fois que le couperet tombait, un spot s'éteignait. Et là ce n'était pas anecdotique. L'effet était saisissant, j'en suis ressorti sans voix.
Si tu as l'occasion de voir le film qui date des années ??? soixante peut-être, ne la manque pas !
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