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  • 29 septembre 2018

    Le beau garçon de la poste

    Je n'avais pas recroisé ce garçon depuis plusieurs années. Au moins quatre, peut-être cinq voire six ans. Je ne crois pas avoir jamais su son prénom quoique nous côtoyions alors la même salle de sport entre les murs de laquelle transpiraient des gens d'un peu toutes les classes sociales : employés municipaux, médecins, chômeurs et étudiants de toutes sortes. Hormis la satisfaction de l'effort c'est aussi cela qui m'a plu dans le sport : rassembler sous une même bannière des gens qui, en temps normal, n'auraient pas forcément grand-chose en commun.

    Parfaitement fidèle à mes goûts en la matière, j'avais immédiatement repéré ce très beau garçon parmi les autres. Il était alors relativement jeune, une vingtaine d'années à peine. Athlétique, puissamment bâti, la peau mate cuivrée, le regard vif et un peu fou. Ses yeux noirs, rehaussés par un immense sourire qui ne le quittait jamais, perçaient au milieu d'une chevelure d'ébène coupée court, souplement coiffée à la manière d'un enfant faussement sage. Splendide. 

    Même les soirs où la salle de musculation était pleine à craquer, on ne voyait que lui et ses airs de canaille, ses grands gestes faussement gauches et ses éclats de rire qui éclaboussaient d'échos joyeux la rudesse de l'effort collectif baigné de fonte et de sueur.

    Lorsque, ayant terminé d'affranchir un courrier recommandé hier à la poste, je me retournai pour l'adresser au guichet correspondant, je l'ai immédiatement reconnu, à quelques pas de moi. Un peu plus mature, un peu moins foufou peut-être, mais tout aussi beau et séduisant que naguère. Étrangement, j'avais oublié son existence, alors pourtant qu'il faisait partie des très beaux garçons dont je savais tout particulièrement apprécier la présence.

    Certaines personnes possèdent inconsciemment cette force naïve qui leur confère un irrésistible charme solaire. Ce garçon fait incontestablement partie de ceux-là. Et je retrouvais en lui, sous les néons froids de ce bureau de poste, la même incandescence magnétique qui, comme par le passé, m'absorbait à présent tout entier.

    Voyant que je l'observais, son regard a croisé le mien à plusieurs reprises. Je ne crois pas qu'il m'ait reconnu. Je ne suis pas non plus allé vers lui pour le saluer. J'ai hésité et j'aurais peut-être dû car nous nous connaissions. Mais pour lui dire quoi ? "Hey salut, on était dans la même salle de sport il y a six ans" ? Pour lui avouer qu'il est toujours aussi beau et que j'avais toujours autant de plaisir à le regarder ? Je n'ai pas franchi le pas, peut-être pour ne pas être pris en flagrant délit de matage éhonté ni n'avoir à affronter, lors de ce corps à corps verbal, un quelconque trouble qui m'aurait envahi à coup sûr.

    Reprenant momentanément mes esprits, je me retournai vers la guichetière et lui tendis mon pli. D'un geste ferme et assuré, elle asséna deux coups de tampon à mon enveloppe désormais cerclée de noir,  et me rendit le récépissé que je glissais méticuleusement dans mon portefeuille. 

    Tournant alors les talons après l'avoir remerciée, je me dirigeai lentement vers la sortie tout en auscultant la salle, à la recherche de ce très beau garçon que je n'avais pas revu depuis longtemps et qui, quelques instants auparavant, se trouvait à ma gauche.

    En vain. Il était parti, sans que j'eusse le temps de lui adresser un dernier regard.

    Traversant la foule affairée, je fis brièvement halte devant la porte automatique qui s'ouvrit instantanément et continuai, plus loin, ma vie presque ordinaire.

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