Il y a quelques années de cela ma mère avait systématiquement une attitude négative à l'égard de tout. Quoique l'on dise et quel que soit le sujet de conversation, elle avait ce talent incroyable pour toujours trouver le côté négatif des choses, à voir uniquement le verre à moitié vide au lieu de le voir à moitié plein, et à trouver en tout et en tous une cause de crainte au lieu d'y voir une raison de se réjouir.
Je croyais être le seul à l'avoir remarqué jusqu'au jour où mon frère lui en a ouvertement fait le reproche à l'occasion d'un repas. Je ne me souviens plus précisément du contexte de la discussion mais je crois me rappeler que mon frère avait alors un tout petit peu haussé le ton en disant que, maintenant, ça suffisait. Par la suite, l'attitude de ma mère devait changer à la faveur d'événements familiaux tragiques, une série d'accidents de la vie et de décès brutaux qui lui ont fait prendre conscience de ce qu'il fallait peut-être prendre la vie par le bon bout. Car non seulement on n'en a qu'une et, surtout, qu'elle pouvait s'arrêter brutalement...
Je situe ce changement de paradigme il y a environ une quinzaine d'années. Le changement fut alors assez spectaculaire et rapide puisque ma mère - entraînant mon ours de père dans son sillage - se mit alors à organiser une profusion de soirées et de fêtes diverses sans véritable raison, si ce n'est le simple plaisir de se retrouver en famille et entre amis afin de passer du bon temps ensemble. Ce furent là des années assez savoureuses durant lesquelles mes parents commencèrent à faire ce qu'ils s'interdisaient jusqu'alors : profiter.
Tout n'était pas résolu pour autant. On ne change pas le tempérament d'une personne d'un claquement de doigts, surtout lorsqu'il s'agit de quelqu'un d'aussi angoissé que ma mère. "J'angoisse donc je suis" pourrait ètre sa devise... C'est une maman, me dit-on souvent. Non, c'est très différent : c'est ma mère...
Je tenais donc naïvement les choses pour relativement acquises avant de me rendre compte, depuis maintenant quelques temps, que l'inquiétude chronique et systématique était revenue au même niveau qu'auparavant.
À la faveur de l'âge qui avance, de quelques désagréments de santé bénins dans lesquels elle a anticipé la cause injustifiée de mille tourments, et peut-être en raison de sa peur inavouée de la dernière heure dont je l'espère encore loin - car bien qu'elle n'en ait point encore l'âge, je crois ma mère en panique à l'idée de sa propre mort, certainement bien plus que je n'ai moi-même peur de la mienne, je la vois à nouveau s'angoisser pour un rien et s'inquiéter de tout.
Si ce n'était que de cela, les choses ne seraient pas très graves. Malheureusement en effet, cette angoisse rejaillit sur son entourage et ses proches en particulier, dont je suis. Plus que son angoisse propre, doublée d'une émotivité dans laquelle je reconnais la source de la mienne, ce qui est absolument terrible est cette forme de décrédibilisation d'autrui presque systématique. De cette manière, elle remet tout en question, au prétexte pris d'une insécurité qui confine parfois au maladif, ou peut-être plutôt de manque de confiance en l'autre car la peur du danger emporte tout.
Hier soir encore, alors que j'étais allé rendre visite à mes parents pour manger avec eux, j'ai eu l'impression, peut-être totalement fausse, non pas d'une forme de dénigrement mais d'inconscience totale de ce que je fais réellement de mes journées et du réel sérieux de mon travail. À tel point que je suis rentré complètement abattu et que ce matin encore en me levant, j'avais le moral dans les chaussettes en doutant de mes propres aptitudes...
Depuis maintenant cinq ans que j'exerce mon activité professionnelle actuelle, que j'investis un effort personnel absolument considérable pour ne rien lâcher, me développer et faire croître ma petite entreprise, et nonobstant la fierté que je lui inspire, j'ai toujours l'impression qu'elle me considère comme un petit garçon de dix ans à qui il faut constamment tenir la main, de peur qui ne tombe et se mette à pleurer. Ceux qui me connaissent savent à quel point je suis à l'opposé de cette description.
Je n'irai pas jusqu'à dire que ma mère est quelqu'un de toxique car elle a aussi de très bons côtés, et notamment une générosité sans limite.
Mais pour la première fois hier soir depuis bien longtemps, j'ai ressenti cette forme de malaise à propos duquel j'avais pu m'épancher par le passé auprès d'une amie qui, pour exactement les mêmes raisons que moi, ne voit plus sa mère que de manière très sporadique.
Ce serait vraiment triste d'en arriver là.
Les très proches adoptent souvent des tics de comportement avec nous et - surtout les parents - ne nous voient pas évoluer. Moi je dis qu'il faut toujours laisser sa chance au produit... en tentant de lui donner en douceur des pistes pour reprendre sa place, entre autres celle d'une personne qui soutient ? (cela dit, c'est facile à dire : j'ai essayé ça avec la mienne il y a deux jours et j'ai complètement raté mon coup, hein, mais bon, on y croit on y croit :-D)
RépondreSupprimerLa condition sine qua non pour être une "bonne mère" c'est d'en avoir eu une soi-même, voilà pourquoi ce que Dolto appellerait "bons parents" sont rares. En revanche, souvent ces parents défaillants ont de "bons enfants" c'est-à-dire des enfants qui peuvent comprendre et pardonner les défaillances de leurs parents. J'ai l'impression que vous êtes du rang de ceux-ci.
RépondreSupprimerImpression fausse, Mildred. Ma mère est/fut tout sauf défaillante.
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