• A propos
  • M'écrire
  • Facebook
  • Instagram
  • Lutte Nuptiale
  • Premières fois
  • Identités Singulières
  • Twitter
  • 9 avril 2021

    Les dents de la mère

    Vous excuserez le titre pourri, il m'est venu en regardant à nouveau Les Dents de la Mer cet après-midi... J'ai même hésité, craignant qu'il ne soit un peu trop freudien pour son contenu. Bref, ce n'est pas du dentier de ma mère dont je voulais parler dans ce billet, même s'il y est tout de même question d'une sorte de morsure de l'âme.

    Aussi loin que je me souvienne, l'idée et l'image de la mort ont toujours plané sur ma famille. La maladie, la mort des autres et la sienne propre, faisaient partie du paysage quotidien chez mes grands-parents, et d'une certaine normalité dans laquelle j'ai grandi. 

    Ainsi j'ai su très jeune que ma mère avait perdu son père alors qu'elle avait à peine vingt ans, ce dont témoigne un portait ovale toujours accroché dans le salon chez mes parents. Une photo en noir et blanc, qui le représente en tenue militaire, à peu près à l'époque de son mariage. De même, le fait que ma grand-mère maternelle ait perdu un enfant, renversé par une voiture devant sa porte, n'a jamais été un mystère. Pas davantage que l'une des filles de mon autre grand-mère soit décédée d'une méningite, alors qu'elle avait à peine onze ans. C'était un sujet annuel de lamentation, à l'occasion de son anniversaire posthume, et dont une vieille photo grise, placée dans la montée d'escalier, conserve le doux sourire à jamais figé. 

    Des morts, il y en avait partout, et tout le temps. C'était parfois un peu suffoquant. Mais c'était ainsi. En effet je suis issu d'une famille d'émigrés Italiens, éparpillée à travers toute l'Europe et le monde entier. Ma grand-mère avait même une cousine bonne-sœur en Tanzanie, avec laquelle elle correspondait régulièrement. Le facteur et le téléphone apportaient donc régulièrement leur lot de nouvelles sur la santé des uns et des autres et, avec elles, leur lot d'inévitables décès dont nous étions évidemment tenus informés. 

    Il y avait aussi ce rituel lors des repas de famille, à l'issue desquels une tante allait invariablement chercher une grosse boîte en métal logée dans un bas de buffet, remplie de photographies. Des parents plutôt éloignés, tous italiens, que pour la plus part je n'ai jamais connus, et dont mes grands-parents évoquaient tour à tour le souvenir, reconstituant un vaste arbre généalogique dont eux-seuls conservaient la mémoire.

    Celui de mes aïeux qui parlait le plus de la mort était ma grand-mère maternelle. Je crois qu'une phrase sur deux qu'elle prononçait, commençait par : "Quand je serai morte". Parfois même, elle disait qu'elle en avait marre, qu'elle avait assez vécu et qu'il lui tardait que le Bon Dieu la rappelle. Je n'ai jamais su si c'était du lard ou du cochon et ma mère, à chaque, fois haussait les épaules en signe formel de désapprobation. Mourir, vieillir, alors qu'à 80 ans passés et en dépit de ses problèmes de santé, elle faisait encore son ménage, sa lessive, cuisinait et promenait son chien toute seule... Des morts, elle avait dû en voir pendant la deuxième Guerre Mondiale, elle qui habitait en zone occupée et qui s'était mariée pendant une permission de celui qui allait devenir son époux.

    L'autre jour, alors que je vitupérais gentiment contre je ne sais plus exactement quoi, mon frère me demandait à propos de nos parents : "Tu ne les vois pas vieillir ?". Bien sûr. Bien sûr que si. C'est peut-être cela qui m'angoisse. Voir le temps passer inexorablement sur eux. Même si je me voile un peu la face et que je fais mine de ne pas voir qu'ils se sont assagis, je sais bien qu'ils n'ont plus vingt ans ni même cinquante, et que faire ensemble les quelques voyages que j'avais envie de de leur faire partager sera peut-être un peu plus compliqué que je ne le pensais. 

    Parfois je songe aux parents qu'ils étaient quand ils avaient mon âge. Je vais avoir quarante trois ans dans deux mois. J'ai trente ans d'écart avec mon père et vingt-sept avec ma mère. A mon âge, mon père avait deux enfants, dont un fils aîné qui était déjà au collège et qu'il aidait à apprendre ses leçons d'anglais. Ma mère se rendait aux réunions parents-profs et s'entendait dire par une prof de français acariâtre : "J'espère que vous n'avez pas attendu tout ce temps pour vous entendre dire que tout va bien ?". Autant de situations que je ne connaîtrais pas. A l'époque où ils avaient mon âge, je percevais mes grands-parents comme âgés, je les voyais vieux, à travers mes yeux d'ado. Et à travers ce souvenir, je perçois parfois, malgré moi, mes propres parents. Comparaison n'est pas raison, dit-on.

    Pourtant, mes parents ne sont pas "vieux". Mon père aura 73 ans dans quelques semaines, ma mère 70 dans quelques mois. Ils sont en bonne santé et ont encore de belles années devant eux. Mais déjà ma mère commence à placer des "quant on ne sera plus là" dans nos discussions et se plaint d'être "vieille", sur le ton de la rigolade pour justifier une petite baisse de régime. Je ne supporte pas de les voir s'auto-assigner un rôle de pré-grabataire qu'ils ne sont pas. A chaque fois je lui rétorque qu'elle n'est pas vieille, de la même manière qu'elle haussait les épaules quand la sienne disait qu'elle en avait marre de la vie. Même s'ils sont pleins de volonté, j'ai peur qu'ils ne baissent les bras et ne fassent plus de projets. Je refuse que s'instille dans leur tête cette idée qu'ils sont vieux, que le grand compte à rebours a bel et bien commencé. Et c'est cette préfiguration qui me terrifie.

    8 commentairess:

    1. Intéressante réflexion sur le ressenti. Entre le refus pour soi-même de voir vieillir ses parents et le reproche qui leur est fait de auto-assigner comme vieux.
      J'avais une idée que je ne suis pas arrivé à formuler correctement. En résumé, il manque le contrepoint. Le texte est écrit par quelqu'un de 43 ans, c'est dire déjà un âge d'accomplissement où l'on se retourne en arrière pour voir le chemin parcouru, mais aussi un âge assez éloigné de l'imperceptible bascule où vous n'êtes plus un adulte mais un sénior. Le regard que l'on porte sur soi et que les autres portent sur vous, change aussi le point de vue que l'on avait quand nos propres parents avaient l'âge qui est désormais le sien.
      Réflexion qui peut s'accompagner d'un bonus : dans l'univers LGBT on devient petit à petit "invisible", ce qui change le point de vue d'où l'on parle.

      Tout ceci est peut-être un peu décousu.
      Bonne nuit.

      RépondreSupprimer
    2. Avec le recul, maintenant qu’ils sont partis, je ne sais pas ce que je craignais le plus, les perdre ou se retrouver seul devant le terme de ma propre mort. Le temps passe, passe le bien.

      RépondreSupprimer
    3. Je vois ce que tu veux dire. Pour moi depuis 1 an c’est le diagnostic de la maladie de Parkinson de ma mère qui a fait la « bascule » où désormais à chaque coup de fil, je passe la majorité du temps à parler des bobos de mes parents ... bobos que je dois toujours « positiver » (être « fort » pour eux) alors que je tais les miens. Et bien sûr je m’interroge (avec juste mes 2 ans de plus que toi) sur le futur et sur qui prendra soin de me rassurer sur les bobos de la vieillesse...

      RépondreSupprimer
    4. Je viens de lire "Une mort tres douce" de Beauvoir sur le processus de deces de sa mere.Etant qqune qui viens de perdre ses parents en 1 ans, je le trouve tres realiste.A la fois surprise de voir Simone comme qqune assez seche en apperence au niveau de sentiments.
      Etre invisible elle parlait dans son livre La Vieillesse que je n'ai pas pu finir Puisque je me senti suffoque d'angoisse et manque d'espoire.
      Mais ce que je peux dire tous peut faire qqche pour l'autre qu'ils soient de sa famille ou pas.

      RépondreSupprimer
    5. A la fois surprise de voir Simone si tendre envers sa mere ....(je corrige les mots manques)

      RépondreSupprimer
    6. Pour moi qui ai 5 ans de plus que ton père la bascule a eu lieu à 75 ans qd j'ai commencé à avoir des problèmes à 1 oeil pratiquement mort. J'ai du continuer avec 1 seulet je continue à pester de limiter mes deplacements en voiture la nuit ou par temps dégradé de devenir encore plus maladroit que j'étais à tomber qd je marche en terrain difficile. J'essaie de m'acrocher de ne jamais renoncer de continuer à essayer de faire mais c'est épuisant.Du courage à toi à tes parents et à ta mère mais nous ne baisserons la garde que le plus tard possible

      RépondreSupprimer

    Bonjour, vous êtes bien chez Tambour Major.

    Ce billet vous a plu ? Il vous fait réagir ?
    Laissez donc un commentaire grâce au magnifique formulaire mis à votre disposition.

    Z'allez voir, ce n'est pas bien compliqué :

    1) Ecrivez votre petit mot doux dans l'espace de saisie ci-dessus.
    2) Identifiez-vous : sous Sélectionner le profil, cochez Nom/URL.
    3) Saisissez votre nom de scène, votre pseudonyme ou celui de votre chat si c'est ce dernier qui écrit.
    4) Si vous avez un blog, vous pouvez lui faire de la pub en mettant son adresse dans la case URL.
    Sinon passez directement à l'étape suivante.
    5) Cliquez sur Publier.
    6) Tadaaaaaam ! Sous vos yeux ébahis, votre commentaire s'affiche dans toute sa splendeur.

    Elle est pas belle la vie ?
    À bientôt !