Selon mes derniers calculs, il existe dans la vie d'un homme environ 791.125.325.014.784,3 raisons de se réjouir : arracher les ailes d'une mouche, manger du Nutella® dans le pot, jouer avec le chat, boire du champagne, se gratter les couilles, faire un croche patte à une vioque qui s'incruste dans la file d'attente, écouter l'intégrale de Lorie en se frottant les yeux avec du verre pilé... Je vous laisse compléter la liste. 791.125.325.014.784,3 et pas une de plus. Mes équations sont ab-so-lu-ment formelles. C'est assez peu à l'échelle de l'univers. Mais c'est déjà beaucoup trop à l'échelle de l'humanité. Et ne discutez pas je vous prie. Tout ça pour dire qu'il y a une foultitude de
petits bonheurs dont on serait bien bécasse de se priver ou de ne pas apprécier à leur juste valeur.
Parmi mes dernières trouvailles, il en est une toute simple : remplir mon frigo.
Déjà, à la base, un frigo même vide, c'est fichtrement intéressant aussi. D'un point de vue conceptuel je veux dire. Par exemple, je suis à peu près certain que c'est en contemplant son frigo que Pascal a eu l'idée de son fameux
Traité du vide. Et puis, c'est presque beau un frigo vide. Une beauté quasi surnaturelle ; presque inquiétante. Ici une bouteille de lait UHT parée de son incontournable bouchon bleu, indiquant la teneur semi-écrémée de son contenu. Là un pot de moutarde, tout aussi vide, laissé à son futile désœuvrement. Un peu plus haut, une clayette en verre tente d'exister dans toute sa transparence, perdue entre un citron rance et une demi tomate même pas mûre. Hé non, un frigo vide n'est jamais
totalement vide. C'est une sorte de figure Sartrienne hyperbolique de la vacuité de nos contemporains doublée d'une allégorie cinglante d'un ostracisme paranoïaque refoulé. C'est beau...
Ce matin donc, je contemplais le vide intersidéral de mon frigo et m'extasiais sur ce petit univers grelottant lorsque, soudain, je songeai aux invités qu'il allait me falloir régaler tantôt. Hé oui car, vois-tu, je reçois bientôt à table l'ami
Brol qui doit me parler de son projet d'OPA sauvage sur la branche "croquettes pour chat" de la société Friskies ou quelque chose dans ce genre là, et qui me demande audience. Si je n'ai pas tout compris à sa question (j'y connais pas grand chose en OPA sur les croquettes pour chat), je sais en revanche que : 1/ je vais devoir le nourrir et que 2/ l'état de désertification de mon réfrigérateur s'y oppose. Face à cet abîme culinaire, une idée d'une transcendance inouïe s'est faite jour : et si j'allais faire des courses ? Ho oui tiens !
Hop hop hop, quelques minutes plus tard et quelques dizaines d'Euros en moins, on revient les bras chargés de mille et une choses dont on n'avait pas forcément besoin mais dont les sirènes du marketing on su habilement nous convaincre du contraire. On tri, on déballe, on range et, miracle : mon frigo naguère vide est désormais grouillant de victuailles. Là où régnait la triste monochromie d'une blancheur immaculée se trouve désormais une symphonie de couleurs chatoyantes : du vert, du rouge, du jaune. Ha que tout cela est excitant. On croirait revivre, à l'échelle d'une cuisine d'appartement, les grandes heures du Big Bang et de la génération spontanée. Quand je pense que certains passent leur temps à scruter l'infini à la recherche d'informations cruciales sur l'origine de l'univers, alors qu'il leur suffirait tout simplement de mettre le nez là, juste devant eux :
dans leur frigo... Que c'est beau, un frigo plein !