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  • 20 octobre 2012

    Petite leçon d'économie argentine

    La crise économique en Argentine est une réalité quotidienne tellement banale qu'elle finit par en devenir presque normale. Une réalité contre laquelle le très contesté gouvernement Kirchner essaie de lutter avec un succès tout relatif car les résultats ne sont pas là. Enfin, si l'on en croit les informations officielles, tout va bien, tout va mieux : le taux d'inflation sur les derniers neuf mois serait de 0,9%. Mais si l'on s'en réfère à d'autres études qui n'émanent pas des services gouvernementaux, parler de catastrophe est un euphémisme car on serait davantage aux alentour de 18 % d'inflation (voire 22 % pour d'autres analyses plus pessimistes encore) sur la même période. L'an dernier le taux d'inflation réel a été d'environ 30 %. Sans oublier que, à cette inflation galopante, il faut ajouter les difficultés d'approvisionnement en certaines matières premières et outillages liées aux mesures protectionnistes. La combinaison de tout cela donne un marché très instable qui conduit de nombreuses entrerpises à mettre la clé sous le paillasson.

    Alors, pour éviter que leur petit bas de laine de s'envole en fumée, les Argentins se tournent vers des valeurs refuge : l'Euro et le Dollar.

    Là encore il faut composer avec deux réalités : celle de l'économie officielle et celle de l'économie réelle qui sont deux choses distinctes. En effet, le gouvernement a décidé, voici quelques temps déjà, d'une parité officielle entre le Pesos argentin et les autres monnaies, et cela quel que soit le cours réel de ces monnaies. 
    Ainsi aujourd'hui la parité officielle entre le Pesos et l'Euro est environ de 1 Euro pour 5,88 Pesos. Donc si vous retirez de l'argent à la banque, sur votre compte bancaire européen, on vous donnera 5,88 pesos par Euro, outre les frais inhérents à l'opération. Ceci est une belle arnaque car le taux de change réel - disponible sur le marché noir que tout un chacun connaît ici parfaitement - est d'environ 1 Euro pour 7,20 Pesos ! Autrement dit, à chaque fois qu'un européen tire du liquide sur son compte bancaire depuis l'Argentine, il perd de l'argent...

    Il en va strictement de même pour le Dollar. Contrairement à ce que l'on pourrait croire l'Euro n'est pas une monnaie aussi forte que l'on veut bien le penser. Pour un Argentin, le Dollar est nettement plus intéressant car il est beaucoup plus simple et rapide d'aller dépenser des Dollars aux États Unis que d'aller dépenser des Euros en Europe - sans compter le prix prohibitif d'un billet vendu en Argentine pour se rendre en Europe. Du coup, le Dollar jouit d'une forte popularité qui le place, sur le marché noir, à un taux de change proche de l'euro. Ainsi, 1 Dollar vaut environ 6,33 Pesos sur le marché noir, contre 4,74 au taux légal officiel, ce qui fait une sacrée différence.

    Euro et Dollar, des valeurs refuge donc. Oui, à tel point que, désormais, il est impossible d'acquérir ces devises sur le territoire argentin. Les banques ne peuvent pas remettre des billets ni en Euros ni en Dollars, à quiconque et pour quelque motif que ce soit, y compris sur justification d'un prochain voyage à l'étranger ! La rehabilitation du Pesos dans l'économie du pays est une lutte acharnée, presque aveugle, et qui ne produit pas exactement les effets attendus.

    Tout cet embroglio n'est pas sans poser quelques difficultés pratiques. Je m'explique. Le Dollar est une valeur refuge disais-je à l'instant. Aussi il n'est pas rare lorsque l'on feuillette les annonces de location d'appartement, de trouver le prix exprimé en Dollars. L'idée est de récupérer des devises étrangères qui se dévaluent peu et ainsi de thésauriser. Sauf qu'eu égard à l'impossibilité pratique de retirer des devises étrangères ici, il faut convertir le contrat en Pesos. Mais à quel taux ? Au taux officiel ou au taux réel ? Au taux réel bien entendu. Et là cela peut faire très mal.

    Prenons par exemple le cas de la location d'un appartement standard en centre ville au prix annoncé de 800 Dollars.
    Pour un européen, 800 USD représentent environ 615 Euros, ce qui est tout à fait acceptable. Eu égard à l'impossibilité de retirer des Dollars, il va falloir payer en Pesos. Si l'on considère le taux de change réel de 7,2 pour 1 alors 615 Euros représentent 4428 Pesos.
    Sauf que, cet européen va payer en retirant des Pesos qui lui seront attribués en fonction du taux légal imposé qui est de 1 pour 5,88. Et là tout bascule. Car pour retirer 4428 pesos, cet européen va devoir débourser 753 Euros et non pas 615, ce qui fait une augmentation soudaine de 138 Euros !

    Bien entendu, ce genre de contrat exprimé en devise étrangère est très fréquent. Aussi, pour encourager les Argentins à utiliser la monnaie nationale et dissuader le recours à des monnaies concurrentes qui participent au jeu de l'inflation galopante, le Code Civil de la Nation Argentine prévoit une solution  radicale afin de faire la chasse aux contrats conclus en d'autres devises que le Pesos. A cette fin est institué un mécanisme simple mais redoutable : en cas de contestation, toute somme d'argent inscrite dans un contrat sera automatiquement réputée avoir été stipulée en Pesos. Ainsi, une dette de 1000 Dollars devient une dette de 1000 Pesos...  autrement dit, sept fois moins. Dissuasif ! Mais surtout ravageur car, là encore, les effets négatifs de ce systèmes sont innombrables, en particulier lorsqu'il s'agit de très gros contrats de fourniture de marchandise conclus sur plusieurs années avant que la loi n'entre en vigueur. S'agissant d'une loi de soutient de l'économie, elle s'applique immédiatement aux contrats en cours.

    Vous l'aurez compris, la situation économique en Argentine est loin d'être rose. C'est d'ailleurs un cas assez unique puisque tous les pays voisins connaissent une croissance économique tout à fait normale. Le seul autre pays d'Amérique du Sud à connaître de semblables difficultés et une inflation ahurissante est le Vénézuela. 

    De façon un peu ironique les argentins disent que le pays fonce droit dans le mur, sauf que le mur ne cesse de reculer...  Mais le Gouvernement dit que tout va bien. Alors tout va bien.

    Une crise ? Quelle crise ?


    ***
    Pour ceux que la question de la crise économique en Argentine intéresse, allez lire ce billet très intéressant (en français).

    14 commentairess:

    1. Ben j'en ai appris des choses...Merci!

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      1. A ce jour, 23 commentaires pour une histoire de bidet, 7 pour l'économie argentine !!!

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      2. Les sujets légers sont plus faciles à commenter ;)

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      3. Moi j'ai un alibi, j'ai pas eu le temps de lire jusqu'ici. Trop de boulot. Mais tout ceci est très intéressant. Ca doit en faire des complications et des absurdités au quotidien...

        À côté, les Chiliens se marrent, si on en croit une connaissance que j'ai là-bas. Je crois qu'ils sont un peu jaloux d'avoir été si longtemps dans l'ombre de l'Argentine glamour, "européenne" et trop bonne en foot. Mais à les croire, mieux vaut être chilien. Un jour, l'Argentine finira bien par se relever...

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    2. Instructif ton billet, toi qui peut faire une comparaison entre la France et l'Argentine, les ressentis de la crise au quotidien perçus par les gens ? se révoltent-ils ? montrent-ils leur agacement ?

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      1. Se révolter, non, pas à proprement parler. En revanche il y a des manifestations quotidiennes dans le pays, à grand renfort de slogans, banderoles et prises de bâtiment public en otage.. Aujourd'hui je discutais avec quelqu'un qui me disait que les gens ont du mal à se rebeller car la crise dure depuis tellement longtemps que cela fait partie du quotidien. C'est une donnée imposée avec laquelle il faut se débrouiller.
        Et puis ça va tellement mal que : par où commencer ? Tout est à reconstruire !

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    3. Donc la viande préférée là-bas, c'est une autruche déguisée en boeuf, quoi...

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      1. L'autruche ? Non non, pas la peine de se mettre la tête dans le sable, puisque tout va bien ! :-)

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    4. alors si j'ai bien compris, tu t'endettes en euros ou en dollars (pour acheter un appartement ou un bar gay par exemple...) et ta dette vaut six fois moins????
      Dans ce cas achète tout le pays!!;)

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      1. Théoriquement oui. Sauf que je pense qu'aujourd'hui, passer un acte de vente immobilière en USD serait assez dangereux, donc je pense que le prix serait négocié en Pesos. Mais je vais vérifier cela. En outre il faut composer avec un prix de l'immobilier très élevé, bien au dessus de sa valeur (du moins à Buenos Aires) : les proprios maintiennent artificiellement la valeur de leur bien pour ne pas se retrouver sur la paille à cause de l'inflation. Bulle spéculative !

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    5. Ca donne pas vraiment envie de faire un séjour prolongé la bas
      Mais le marché noir du change est facilement accessible?

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      1. Il t'en faut peu pour te décourager dis donc. Je connais des Français qui sont arrivés ici depuis plusieurs années et qui n'envisagent pas de retourner en Europe pour le moment. Malgré ses mauvais côtés l'Argentine reste un très beau pays.

        Le marché noir est super facile d'accès, il suffit de demander à un argentin de t'indiquer comment procéder. Dans certaines rues il y a même des gens postés tous les 50 mètres et qui alpaguent les passants en criant " ¡ cambio cambio !". Mais il faut rester vigilant : la police commence à avoir des consignes de tolérance zéro (en théorie)...

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    6. au quotidien je suppose que tu as un compte en banque dans une banque locale et que tu peux donc retirer des pesos sans passer par la case Change ??

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