Lorsque j'étais gamin c'était mon jouet préféré : une toute petite tortue en plastique portant sur son dos une petite souris grise. De la taille d'une grosse noix, ma grand mère s'amusait à me faire croire qu'elle pouvait la faire disparaître. Et moi je courrais, émerveillé par ce tour de passe-passe dont les adultes riaient. Moi je n'y voyais que du feu et me demandais par quel prodige cette tortue en plastique parvenait à se volatiliser, uniquement entre les mains de ma grand mère. Entre les miennes, l'exercice devenait nettement plus coriace. En fait je n'y suis jamais parvenu.
Je l'aimais bien ma grand mère. Mémère comme on l'appelait. Non pas que ce fut péjoratif, bien au contraire : c'est ainsi que l'on appelle sa grand mère en Haute Savoie, sa terre d'élection, ce pays qu'elle aimait plus que tous les paysages du monde, au milieu des montagnes. Petit garçon j'y passait régulièrement une partie de mes vacances d'été. On ne s'ennuyait jamais avec elle ; il y avait toujours quelque chose à faire. Du matin, avec le rituel du marché auquel nous nous rendions à pied, dans la fraîcheur humide de la vallée, avant que le soleil s'élevant au dessus des cimes aux neiges éternelles n'inonde le pied des montagnes de lumière, vaporisant la rosée du petit jour ; au soir, jusques auquel nous partions en promenade le long des sentiers escarpés des alpages, à la découverte des roches mousseuses et des torrents intrépides, à ramasser des myrtilles parmi les sauterelles excitées par la chaleur estivale, ou à gravir le Mont Blanc dans le train à crémaillère qui valait pour moi tous les manèges.
Ma grand mère c'était aussi des histoires. Son histoire. Ses souvenirs d'enfance, ses souvenirs de guerre alors qu'elle habitait en Lorraine, les soldats Allemands, les bombardements, la peur des milices, la résistance... Lorsqu'elle nous en parlait, elle replongeait dans un passé qui lui paraissait si proche, et à nous si irréel. Elle avait aussi un vieux livre de contes anciens, une relique, sur lequel elle avait appris à lire étant petite. J'avais mes préférées, en particulier celle du petit coq qui finit embroché en haut d'un clocher, puni pour son arrogance et j'aimais à me l'entendre lire le soir avant de m'endormir.
Ma grand mère c'était également des odeurs de cuisine, des parfums de gâteaux, de kouglof, de viande qui mijote sur le coin du feu, de préparations colorées qui rissolent dans la poêle et dont on se pourléchait déjà les babines tandis que nous mettions la main à la pâte, dans l'expectative de l'instant précieux où nous pourrions déguster toutes ces bonnes choses que nous avions vues défiler sous nos yeux, dans le recueillement du cliquetis des couverts.
Ma grand mère aimait les mots. Les mots écrits par les autres, la littérature, les romans, même à l'eau de rose, la lecture en général dans laquelle elle pouvait se plonger des heures durant en oubliant tout le reste, seule dans son univers de princesses déchues et d'amants damnés. Les mots à écrire, les mots croisés, les mots fléchés dont elle noircissait des cahiers entiers sans lassitude. A une époque nous jouions régulièrement au scrabble le dimanche après midi, durant d'interminables parties acharnées entrecoupées de fous-rires lorsque je l'accusais de tricher en écrivant des mots à l'orthographe parfois plus qu'approximative... Nous riions de bon coeur, et c'était là le plus important, quelque fut le score final.
C'était tout ça ma grand mère.
Même si sa santé s'était considérablement dégradée ces dernières années, elle restait, dans la sagesse de son grand âge, le témoin de tous ces souvenirs d'enfance et d'adolescence.
Aujourd'hui la petite tortue en plastique et sa petite souris sont orphelines.
Elle va me manquer.
oh c'est super joli ton billet. Tu as mouillé mes yeux. C'est tellement particulier de perdre un grand parent. Mon grand père, depuis dix ans qu'il est décédé, a laissé la même trace dans mon esprit. Ce sera pour toujours le héros qui me racontait des histoires fantastiques de guerre, mon héros à moi, et ce regard enfantin posé sur lui ne changera jamais. Bisous TM
RépondreSupprimerMa grand-mère est âgée de 94 ans et c'est à elle que je dois la quasi totalité de mes jolis souvenirs d'enfance. En attendant, je redoute ce jour. De tout cœur avec toi.
RépondreSupprimerTrès bel hommage, très bien écrit. Jolis souvenirs d'enfance...
RépondreSupprimer"le long des sentiers escarpés des alpages, à la découverte des roches mousseuses et des torrents intrépides" "dans la fraîcheur humide de la vallée, avant que le soleil s'élevant au dessus des cimes aux neiges éternelles n'inonde le pied des montagnes de lumière, vaporisant la rosée du petit jour"
RépondreSupprimerWaaa, tu es lyrique !
Ça me donne envie d'aller me balader et de me goinfrer de myrtilles. :D
J'ai encore mes deux grand-mères (93 et 87 ans) et comme Éric, je redoute fort ce jour.
RépondreSupprimerGrosses bises.
D'autant plus émouvant pour moi qui n'ai quasiment pas connu mes grands parents... Bon courage, et toutes ces sortes de choses idiotes qu'on dit et qui ne consolent pas...
RépondreSupprimerUn joli hommage... Et, fort à propos, je crois, on peut dire que cette femme qui aimait les mots perdure à travers les tiens...
RépondreSupprimerBon courage.
C'est un très bel hommage que tu lui rend!
RépondreSupprimerBon courage à toi dans cette épreuve...
Bises
Merci à tous.
RépondreSupprimerLa vie continue !
*hug*
RépondreSupprimerMa grand-mère, c'était "Tatie Danielle" (voire pire !).
RépondreSupprimerElle est partie il y a 12 ans... je dois avouer que rien ne me manque... si ce n'est probablement le fait de n'avoir jamais eu de grand-mère...
La perte est peut-être plus dure, à l'instant où ça arrive, que le manque. Mais sur le long terme, je ne saurais dire...
" Se souvenir des belles choses".
RépondreSupprimerC'est ce qui compte. Etre accompagné des être chers par de belles images.
Très beau récit, moi quand je mange un biscuit " Chamonix" je revis les jours heureux chez ma grand-mère maternelle Juliette, nommée aussi " Mémé Ju". Il n'y avait que j'ai elle que j'avais le privilège d'ouvrir la boite et et défaire les feuilles d'emballages en Alu.
Ralalaaaaaa Proust sors de mon corps.
Sincèrement votre
Moi
Moi j adorais ma grand mère, elle confondait les billets de 50 avec ceux de 500 francs à l époque ! Et puis elle est partie, c'est la vie
RépondreSupprimerbises
...
RépondreSupprimerTape sur l'épaule...
Avec du retard je viens te souhaiter bon courage et j'ai pu constater lors du décès de ma mère comment les jeunes adultes souffraient beaucoup à la disparition de leurs grands-parents
RépondreSupprimerLa Tortue est le symbole de la longévité en Asie...
RépondreSupprimerLa souris je ne sais pas.. on la tellement en main de nos jours, on la clique... pour te saluer... toi, ta grandmère et tous ceux qui l'ont connue....
Une de mes grandes tantes est décédée à l'âge de 101 ans jeudi dernier et on a découvert avec surprise qu'elle lisait et relisait depuis toujours "la femme de trente ans". Et je viens de rentrer d'un week end où j'étais avec ma grand-mère qui va fêter dans quelques mois sa cent-deuxième année. Je m'attends toujours à recevoir *le* coup de fil, donc tout ça pour vous exprimer mes condoléances.
RépondreSupprimerMerci à tous pour vos petits mots de réconfort.
RépondreSupprimerc'est un très beau billet, très bien écrit. Je crois que ta grand mère va vivre encore drôlement longtemps en toi. N'hésite pas à nous en reparler. Personne ne s'en plaindra.
RépondreSupprimerC'est un billet très émouvant que tu as rédigé là, une belle façon d'honorer sa mémoire, en quelque sorte.
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