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  • 25 novembre 2017

    Bonne dégustation, mon cul !

    Depuis que les émissions culinaires ont envahi nos soirées et que nos écrans se prennent pour les cuisines de la Tour d'Argent, l'expression "Bonne dégustation" a fait irruption dans le vocabulaire courant, supplantant le traditionnel et jovial "Bon appétit".

    Du petit restaurant de quartier au moindre bouiboui crasseux en passant par la pizzeria du coin, invariablement le serveur apportera votre assiette de pâtes carbo - probablement réchauffées sous vide de chez Metro, célèbre restaurateur italien - ou votre quatre saisons et vous décochera un fatal "Bonne dégustation !" avant de tourner les talons, comme si vous alliez vous attaquer à un chef-d'oeuvre de la plus fine gastronomie internationale ou comme si vous souhaiter une "Bonne dégustation" allait vous transporter, de par la seule force des mots, dans l'univers capiteux d'un restaurant étoilé où vous n'êtes pas.

    Encore hier, alors que je postais sur twitter une photo de ma sorbetière en train de malaxer avec vigueur ce qui était alors en train de se muer en un délicieux yaourt glacé à la violette, quelqu'un de très bien intentioné mais certainement contaminé par la bonnedégustationite, me demanda "Quand est-ce qu'on peut venir déguster ?".

    Bordel... Stop, je n'en peux plus. Arrêtez tout.

    Arrêtez d'employer déguster et dégustation à tort et à travers !

    Mais pourquoi n'entend-on plus le simple, jovial et terriblement convivial "Bon appétit" ? Pourquoi cette interjection séculaire disparait-elle progressivement de nos tablées au profit d'un ronflant, inutile, abscons et terriblement cul-pincé "Bonne dégustation" ? 

    Pourquoi le simple appétit se trouve-t-il banni de l'usage commun comme s'il s'agissait d'un mot soudainement honteux ? 

    Pourquoi ?

    Pire encore, souhaiter à table un "Bon appétit" à ses convives serait l'expression de la pire des goujateries, la manifestation honteuse d'un cruel manque de savoir vivre, une infâmie barbare qui vous placerait de facto au ban de l'Humanité.

    En cherchant un tout petit peu sur le net, on trouve en effet ce genre d'explication :

    À table, on ne souhaite pas « Bon Appétit ! ». Cela est en fait originaire du Moyen Age. Les Français, lors de Banquets en compagnie des Anglais, se sont aperçu que ces derniers ne disaient rien avant de débuter le repas. Par conséquent, depuis lors, il est tout à fait déplacé de faire tout commentaire à ce propos. De plus, certaines personnes ajoutent que dire "bon appétit" pourrait en fait signifier qu'il faudra du courage pour manger la nourriture qui se trouve devant soi et qui n'a pas l'air appétissante.

    On ne dit jamais "bon appétit". Si on vous le dit, ne répliquez pas "bon appétit", arrangez-vous d'un "vous aussi" tout au plus. Sachez que la formule, même si très répandue dans la plupart des milieux socioculturels, et même si prononcée spontanément et avec les meilleures intentions du monde, vous identifiera automatiquement comme un intrus. Historiquement : on n'accentue pas le côté animal de l'homme, un repas est avant tout un art de la table en bonne compagnie, et non pas un instinct primaire. Dire "Bon appétit" revient à dire "bon estomac", "bon transit intestinal".

    Par pure humanité, je ne donnerai pas les liens vers les sites qui relaient ce ramassis d'âneries, votre ami Google vous aidera à retrouver les coupables.

    On objectera, ad absurdum, qu'à ce tarif-là, il ne faudrait pas non plus dire "au revoir " à la fin d'une conversation téléphonique ou d'un courrier, faute d'avoir vu à ce moment précis la personne à laquelle on s'adresse. Ni même demander "comment ça va ?" à ce collègue croisé au détour de la machine à café sous peine de passer pour un ignoble scatophile. Hé oui…  

    Mais si l'on en croit les explications ci-dessus, dire "Bon appétit" renverrait aux heures sombres de notre histoire, à ces siècles lugubres où les empoisonneurs courraient les rues, où les paysans mangeaient leurs enfants et le clerger de robe brûlait les sorcières en place publique pour distraire la plèbe et lui inspirer la crainte divine. Tremblez braves gens voici le XIIIe commandement : "Bon appétit tu ne diras point".

    Je me gausse.

    Car avant d'affirmer que "on" (mais tout un chacun sait que on est un con...) ne dit jamais "Bon appétit", il convient préalablement de se renseigner un tout petit peu sur le sens des mots en se référant pour cette tâche ardue à un dictionnaire. Oui, je sais, c'est un effort insurmontable pour certains esprits simples. Mais je vous assure que c'est pourtant fort instructif.

    Commençons par le commencement : déguster, qu'est-ce que cela veut dire ?

    Hop, plongeons à corps perdu dans l'indispensable Trésor de la langue Française qui du mot Déguster nous donne la définition suivante :

    DÉGUSTER, verbe trans.
    Goûter attentivement et lentement une boisson ou un aliment pour en apprécier les qualités.

    On remarque d'emblée que déguster n'est pas synonyme de manger. L'action est de "goûter attentivement et lentement", ce qui nous place dans quelque chose de plus technique, d'analytique que le simple alimentaire et que le simple fait de goûter.

    Ceci est confirmé par la définition que donne de ce verbe la 9e édition (1992) du dictionnaire de l'Académie Française :

    DÉGUSTER, v. tr.
    XIXe siècle. Emprunté du latin degustare, « déguster ».
    1. Goûter en connaisseur une boisson, un aliment, pour en discerner les caractères et en apprécier la qualité. Le maître de chai déguste le vin de l'année.
    2. Savourer pleinement un aliment, une boisson. Déguster un vin vieux à petites gorgées. Déguster un excellent fromage. Elle dégustait lentement sa crème glacée.   

    Nous y voici : la dégustation consiste d'abord  à décortiquer - en connaisseur - les goûts, les saveurs, d'un plat, d'un mets, pour en apprécier les qualités.

    D'ailleurs quiconque a déjà dégusté du vin - ou regardé les émissions de cuisines susmentionnées - sait que la dégustation se fait à toute petites gorgées et bouchées, en petites quantités, et que, s'agissant du vin, on recrache après ! Imaginez donc la tête du serveur dans ces conditions, trouvant votre assiette encore pleine :
    - Vous n'avez pas aimé ?
    - Si si, au contraire, j'ai dégusté...
    On ne déguste donc pas n'importe quoi n'importe comment. Et certainement pas un hamburger mal cuit avec des frites molles qui sentent l'huile rance. Éventuellement le pot-au-feu légendaire ou la tarte aux quetsches de votre grand mère, si elle travaille au Crillon...

    Surtout, Déguster n'est pas exactement Savourer, dont il est pourtant synonyme :

    SAVOURER, verbe trans.
    A. − Manger, boire lentement et avec attention pour mieux apprécier le goût de quelque chose. Synon. déguster. Savourer un déjeuner, un dessert, un grand cru. Lorsqu'il eut largement bu, il fit claquer sa langue comme un gourmet qui vient de savourer un verre de ce fameux vin de Porto retrouvé sous les décombres du tremblement de terre de Lisbonne (Du Camp,Mém. suic., 1853, p. 4). Tout en buvant un des Yquems que recelaient les caves des Guermantes, je savourais des ortolans accommodés selon les différentes recettes que le duc élaborait et modifiait prudemment (Proust,Guermantes 2, 1921, p. 513).

    B. − Au fig.
    1. Jouir lentement de quelque chose, de manière à prolonger le plaisir, à le rendre plus intense; apprécier. Synon. se délecter à, de.

    A la différence de Déguster, qui relève d'une démarche technique, analytique (un peu comme si l'on passait un plat au scanner et au MEB), Savourer consiste d'abord à manger, et c'est là toute la différence. Savourer fait ensuite entrer en jeu la notion de plaisir, ce qui le place sur un tout autre terrain, l'un n'étant toutefois pas exclusif de l'autre.

    Certains objecteront que, contrairement à Déguster, Savourer n'as pas de substantif. Que nenni ! Il s'agit de l'inusité "Savouration"... Libre à vous par conséquent d'adopter le "Bonne savouration" si l'envie vous prend. Vous seriez à l'évidence irréprochables tant au niveau sémantique qu'au niveau lexicographique. Vous risquez seulement d'être regardés comme une bête curieuse. À vous de voir.

    Ceci étant dit, et pour en revenir à nos moutons, qu'en est-il de l'appétit ? Renvoie-t-il à de basses activités organiques digestives évoquant, par métonymie filée, la défécation et invitant les convives au courage ?

    En aucun cas :

    APPÉTIT, subst. masc.
    I.− Inclination liée à une fonction naturelle, ayant pour objet le bien-être de l'organisme :
    1. L'appétit se distingue particulièrement du désir en ce qu'il n'est pas constant, mais périodique, et qu'apaisé pour un temps il renaît après des intervalles déterminés. Cousin, Hist. de la philos. mod.,1847, p. 583.

    A.− Plus spéc.
    1. Désir sexuel. Appétit sensuel, sexuel :
    2. L'amour, pour le monde, n'est qu'un appétit charnel, ou un penchant vague que la jouissance éteint et que l'absence détruit. Voilà pourquoi tu as entendu dire, par un étrange abus de mots, que les passions ne duraient pas. Hugo, Lettres à la fiancée,1821, p. 54.

    2. Désir de manger. Grand appétit, perdre l'appétit, satisfaire l'appétit :
    3. ... le corps humain, cette machine si compliquée, serait bientôt hors de service, si la providence n'y avait placé un ressort qui l'avertit du moment où ses forces ne sont plus en équilibre avec ses besoins. Ce moniteur est l'appétit. On entend par ce mot la première impression du besoin de manger. Brillat-Savarin, Physiol. du goût,1825, p. 59.
    4. Capevirade avait faim mais pas d'appétit, pas d'amitié pour les aliments. A. Arnoux, Double chance,1958

    Nous y voilà. 

    L'appétit est donc un mot riche de sens qui recèle pourtant en lui cette chose unique qu'est le désir, ce que confirme l'étymologie du mot qui, depuis le XIIe siècle, signifie "vif désir de quelque chose".

    Point de poison, nulle invocation au courage, fi d'une invocation fantasmée à de quelconques instincs animaux...

    Souhaiter un bon appétit n'est donc certainement pas chose triviale et vulgaire stigmatisant une éducation à refaire. Elle est, bien au contraire, fidèle à l'esprit français et à nos arts de la table, qu'ils soient ceux bourgeois hérités du Grand Siècle, ou ceux plus rustiques et rabelaisiens qui mettent immédiatement tout le monde à l'aise. 

    Alors bannissons une bonne fois pour toutes le "Bonne dégustation" inapproprié dont on nous rebat injustement les oreilles et restaurons l'usage de notre simple et traditionnel "Bon Appétit !", invitation au désir, aux plaisirs de la table, à la sensualité excquise de savourer de bons plats dans la joie simple d'une convivialité chaleureuse.
    "Il y a trois sortes d'appétit : le premier, celui que l'on éprouve à jeun, sensation impérieuse qui ne chicane pas avec les mets et qui nous fait venir l'eau à la bouche à l'aspect d'un bon ragoût ; le second, celui que l'on ressent lorsque s'étant mis à table sans faim on a déjà goûté d'un plat succulent, et qui consacre le proverbe : "l'appétit vient en mangeant" ; le troisième appétit est celui qu'excite un mets délicieux qui paraît à la fin d'un repas, lorsque l'estomac satisfait, les convives sans regret allaient quitter la table."
    Alexandre Dumas, Grand Dicionnaire de cuisine
    (1825, Phébus 2000)
    V° "Appétit".

    Bon Appétit à tous !

    15 commentairess:

    1. Pour ma part, je commence par goûter. Bien amicalement

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    2. Quel appétit des mots ! Tu m’as donné faim et j’ai dégusté ton verbe !

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      1. Tu peux saucer ton assiette et te resservir.

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      2. Oh pardon pour cette impolitesse, je m’étais déjà resservi sans attendre !

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    3. Moi je bouffe, beaucoup. Je bois, beaucoup aussi. Mais pas de la merde. Je suis gargantua, je bouffe et bois des bonnes choses je veux ca, je m'en fout'de déguster.

      Mettre un peu d'humilité dans nos relations humaines ca serait bien aussi,non ?

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      1. Entièrement d'accord avec toi. Quand je vais dans un restaurant manger le plat du jour je demande simplement que ce soit "bon" et si je me régale, c'est encore meiux. Rien de plus, rien de moins. Si je veux "déguster" un repas exceptionnel, je sais où il faut aller et je ne m'em prive pas à l'occasion.

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    4. Et déguster ton chibre, c'est possible ?

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      1. Merci pour ce commentaire du plus haut intérêt cher Anonyme.

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    5. Je ne réponds jamais au « bon appétit », je fais comme si je n'avais rien entendu, même si parfois j'ai envie de retourner « bonne voracité » juste pour le plaisir.
      Ce jovial bon appétit est un marqueur social.
      Quant à la bonne dégustation, elle peut en effet être ridicule.
      Pourquoi vouloir meubler le silence par des mots idiots ? On se tait, c'est tout.

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      1. Pour commencer, sois le bienvenu ici.

        Ton commentaire appelle ensuite beaucoup de questions :
        1/ Pourquoi faire comme si tu n'avais rien entendu ?
        2/ Pourquoi "voracité" alors que cela n'a rien à voir du tout ?
        3/ Un marqueur social de quoi ? de qui ? et qui sort d'où ?
        4/ Quel silence ? je ne connais pas de bonne table qui se taise...
        5/ En quoi "Bon appétit" sont des mots idiots ?

        Au plaisir de lire tes réponses argumentées.

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    6. Mais si, voracité et appétit se recouvrent.
      Les restaurants que je fréquente incitent plus à déguster qu'à bouffer, et chez moi, ou en famille, ou avec des amis, jamais cet incongru « bon appétit » n'est prononcé. C'est un marqueur social, un peu comme mettre les coudes sur la table ou mastiquer la bouche ouverte.
      C'est ainsi que je fais comme si je n'avais rien entendu, un peu comme si quelqu'un rotait en pleine table.
      L'affirmation 4 est personnelle et péremptoire, sans intérêt.
      Et enfin c'est le fait de jacasser que je trouve idiot.
      Chacun a sa culture, la vôtre n'est pas la mienne, et j'en suis ravi.

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      1. Tout ceci n'est que vision de classe mais non fondée sur autre chose qu'une rigidité bourgeoise. Comparer le "bon appétit" à un rot en est bien significatif.
        "Un appétit satisfait éveille de nouveaux désirs." Pétrone.

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      2. @ PLC : Merci pour ce généreux élan de condescendance...

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    7. J'ai savouré tes bons mots et dégusté ton art démonstratif de la sémantique

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    Bonjour, vous êtes bien chez Tambour Major.

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