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  • 23 septembre 2009

    Paracuellos - Carlos Gimenez

    Je ne sais plus exactement quelles furent les circonstances de ma première rencontre avec l'oeuvre de Carlos Gimenez, mais il me semble bien que ce fut dans un manuel d'espagnol de première ou terminale. L'histoire d'un garçon d'une dizaine d'années dont le pied est mutilé par une énorme et douloureuse ampoule et à qui l'infirmière du pensionnat donne une médaille miraculeuse en lieu et place de tout remède : "prie là tous les soirs et le bon Dieu te guérira peut être". Et son salut ne vint pas du haut du ciel mais du bout de l'aiguille dont était munie la babiole, grâce à laquelle il put percer la cloque purulente et soulager ses souffrances. Le lendemain l'infirmière, qui avait refusé de prodiguer tout autre soin qu'une lotion à base d'iode, de s'émerveiller des bienfaits de la foi. Une histoire pas très drôle, subtilement douce-amère... Je venais sans le savoir de faire connaissance avec une des nombreuses historiettes de Paracuellos et son talentueux auteur, Carlos Gimenez, que j'allais retrouver peu de temps après dans quelques numéros de Fluide Glacial.

    De passage à Seville cet été, j'avais donc ramené dans mes valises l'intégrale de Paracuellos - en édition originale espagnole, la grande classe - parue il y a peu en un copieux volume unique intitulé sobrement "Todo Paracuellos".

    Paracuellos nous replonge en plein coeur de l'Espagne de Franco, vue par les yeux de mômes encore en pleine enfance, placés par leurs parents dans des sortes de pensionnats d'Etat, à la solde de l'idéal nationaliste ambiant, d'une religion toute puissante et d'éducateurs à l'humanité toute relative. Et pourtant, il faut s'y faire : personne ne viendra les sortir de là... Orphelins pour les uns, recueillis par un oncle ou une tante qui les a abandonné dans ces foyers sociaux, ou mal-né dans une famille trop nombreuse pour une bourse trop maigre qu'un père fatigué ne réussit plus à nourrir, il faut faire contre mauvaise fortune bonne figure et trouver des raisons d'espérer. Aussi des relations d'amitié se nouent, la solidarité est érigée en valeur fondamentale, l'entraide, se serrer les coudes, face à des adultes devenus fous. Pour ne pas sombrer dans la folie ou la violence, certains trouvent refuge dans la bande dessinée qui semble être la seule ouverture vers un ailleurs plus agréable, porte ouverte à l'imaginaire, au rêve... On lit (pas des romans : ils sont formellement interdits !) des BD, on en dessine, on se prend au jeu d'être acteur, conteur... Assez souvent ça castagne sec, mais l'on rigole aussi pour ne pas pleurer d'avantage.

    Profondément inspirée par l'enfance de l'auteur, Paracuellos n'est pas une simple bande dessinée partiellement autobiographique. Dans une interview que j'ai lue je ne sais plus trop où, Carlos Gimenez confie en effet que si tout ce qu'il raconte dans Paracuellos ne lui est pas arrivé personnellement, tout en revanche est authentique... Et il y a de quoi frémir !Au rang des personnages, nombreux,  voici Pablo le gentil, Zorilla la peste brutale, Botas le bagarreur, les insupportables frères Piranas, Cagapoco surnommé ainsi à cause de sa constipation chronique qui lui vaudra bien des déconvenues, Antonio (peut-être une allusion directe à José-Antonio Primo de Rivera,  ?) le phalange corrompu et violent, arborant fièrement sur son ceinturon de métal le symbole de son allégeance au Caudillo de Espana "por la gracia de Dios", les institutrices aigres et méchantes, convaincues par des théories pédagogiques sorties d'un autre temps, humiliantes et avilissantes, les curés et les nonnes féroces, dont le cruel Padre Rodriguez.
    Rien n'est épargné à ces pauvres gamins : les privations de nourriture, la sieste en plein soleil l'été toute l'après midi pour favoriser la digestion, les heures de flexions imposées à ceux qui s'amusent dans les rangs, les kilomètres de baffes, coups de savates, sans parler des chatiments corporels d'une cruauté abominable parfois à la limite de la barbarie (je vous laisse découvrir par vous même quel châtiment inommable germe dans l'esprit démoniaque de la directrice pour soigner les pisse-au-lit), les interminables prières du Rosaire dont chaque journée est parsemée, et les tant attendues visites dominicales par les parents, du moins pour ceux qui ont la chance d'en avoir...

    Quoique régulièrement assez drôle, ne vous attendez pas à éclater de rire à chaque page, il s'en faut parfois de beaucoup. L'humour de Gimenez est souvent grinçant, mettant le lecteur mal à l'aise face à des situations de détresse que l'on a peine à croire réelles. La première partie est même particulièrement dure lorsque l'on réalise qu'il n'y a là aucune fantaisie, sinon la relation de faits réels. Et l'on comprend mieux pourquoi aujourd'hui une frange de la population espagnole née à cette époque cherche à tout prix à renier la religion par les griffes de laquelle tant de brimades leur ont été infligées. Je vous invite à aller faire un tour sur le site d'Arte qui y consacre un petit reportage, ainsi que sur celui du Nouvel Obs dans lequel j'avais lu les premières informations à ce sujet.

    Tout le talent de Carlos Gimenez, véritable héros national outre-Pyrénées, est de parvenir à nous retranscrire cette atmosphère pesante ponctuée de rires et de larmes, de chants religieux et  d'hymnes patriotiques, sur une toile de fond d'enfance insouciante qui, devenue adulte, fera table rase de cette Espagne dont elle ne veut plus, dont elle ne peut plus, pas si lointaine de nous, et dont la génération de nos parents et grands parents porte encore les stigmates. L'humour, politesse du désespoir... mais aussi "l'enfant de nos haines" affirmait Jacques Prevert. Paracuellos en est certainement une des plus brillantes illustrations.

    3 commentairess:

    1. Merci de ton commentaire!
      Bienvenue

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    2. Je trouve qu'il y a un air de Gotlib, dans les dessins.

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    3. La réaction des lecteurs se comprend, si l'on considère les bulles traduites. Ton billet est très clair, construit, et donne une vue d'ensemble saisissante de cette BD que je ne connaissais pas. Les dessins sont remarquables, l'institutrice particulièrement.

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