
En juillet dernier, lors de mon passage à
Evian, nous sommes allés visiter avec
Olivier l'exposition
H²O - sur le thème de l'eau donc - au Palais de la Lumière. C'est ainsi que furent pompeusement rebaptisés les anciens thermes aujourd'hui convertis en centre d'exposition. Y étaient exposées des oeuvres de la Collection
Sandretto Re Rebaudengo qui, paraît-il, est "prestigieuse".
L'exposition en elle même ne nous a pas laissé un souvenir impérissable. A vrai dire nous avons globalement été un petit peu déçus, même si certaines créations ne manquaient pas d'intérêt. En réalité, un dés éléments gênants dans cette histoire fut de bien souvent ne pas comprendre de premier abord l'angle de l'artiste. Nos trois regards convergents furent - neuf fois sur dix - incapables d'analyser les oeuvres dans le sens qu'avait voulu leur donner l'artiste, ou du moins celui que le commissaire de l'expo avait cru bon d'attribuer à l'artiste. Morceaux choisis !
Il y eut tout d'abord cette table en verre sur laquelle étaient placés des récipients transparents remplis de liquide noir, et reliés entre eux par un réseau de tubes transparents assurant le fonctionnement de ce jeu de vases communicants. Réfléchissons ensemble quelques secondes : une exposition sur l'eau, du liquide noir qui suppure dans des bocaux et qui se répand en sous-sol... Oui, c'est évident : il s'agit d'une vision allégorique de la pollution. On met un peu de mazout par ici (quelques centaines de millions de mètres cubes) et hop ! Miracle de la physique, aussitôt ça dégueulasse toute la planète. Bien vu ! C'est joli, ludique, triste aussi.
Hein ? Comment ? C'est pas ça du tout ? Ha bon... mais cékoidonk alors qu'il a voulu dire l'artiste ? Vite, ouvrons le catalogue de l'exposition. Irène, Madame le Commissaire, va nous éclairer de toute sa science :
"Tous les récipients contiennent un liquide noir qui, selon le principe des vases communicants, s'écoule osmotiquement d'un récipient à l'autre à travers une série de tubes.
Jusque là tout va bien, on n'est pas trop cons, on a bien vu la même chose. En revanche "osmotiquement" ça calme ! Ca c'est du mot qu'il est lourd. Tellement lourd qu'il ne veut rien dire. Vérifiez vous-même dans votre dico : ce mot est encore
inconnu de la langue française
. Mais bon, ne nous arrêtons pas à si peu et poursuivons la lecture des explications :
L'oeuvre dans sa simplicité ne semble pas dangereuse, si ce n'est pour sa fragilité ou pour la possibilité pour le spectateur de se tâcher d'encre noire.
Ha bé non, elle est pas dangereuse l'oeuvre, sinon on ne l'exposerait pas au public. Si ? Et puis depuis quand la fragilité est-elle dangereuse ? C'est intéressant comme concept ! Ha, c'est donc de l'encre de chine le liquide noir ? Mais on s'en fout un peu non ? Ca aurait pu être de l'encre de seiche, de la peinture noire, de l'huile de friture hyper sur-saturée ou tout autre liquide noir. Pourquoi de l'encre ? Tiens, lisons la suite, on aura certainement la réponse.
Mais c'est justement cette possibilité [de se tâcher, NdTM] qui suggère l'inévitabilité d'une "contamination", le coeur de ce travail, que l'artiste a représenté comme une réflexion sur la paranoïa culturelle de la contamination par le Sida."
Ha oui, vu comme ça c'est beaucoup plus clair. Le Sida... mwoui... si vous voulez. Mais pourquoi limiter l'interprétation au Sida en particulier ? Sans amoindrir les dégâts que cause ce virus, la grippe n'est-elle pas contagieuse elle aussi ? La contamination doit-elle avoir une lecture univoque ? Et le concept de "paranoïa culturelle" me laisse on-ne-peut plus perplexe. De quelle culture s'agit-il ? Pourquoi pas une paranoïa sociale ou collective ? Voire une paranoïa tout-court ? Hein ? C'est bien joli d'utiliser des expressions choc mais encore faut-il qu'elles le soient à bon escient et qu'elles aient un sens. Ah oui, et tant qu'on en est à la table en verre, je ne trouve aucune explication sur le pourquoi du comment de l'encre de chine. Si c'est bien du Sida qu'il s'agit, pourquoi n'avoir pas utilisé un liquide rouge à la place ? Du sang d boeuf, du sirop de grenadine, ou du jus de tomate par exemple. Ca tâche plutôt bien ça aussi. Car le Sida se transmet bien par le sang, et pas par contact avec de l'encre de chine, non ? Tiens, Irène n'a pas de néologisme de son cru pour nous expliquer tout cela...
Quelques pas plus loin nous voici devant un parterre ou sont disposées des dalles de linoleum découpées à la main formant un cheminement en "v". Au mur sont projetées des silhouettes, et un hautparleur diffuse des chuchotements indistincts. D'accord d'accord... Au secours, ouvrons vite le livret explicatif, Irène à la rescousse ! Accrochez-vous, c'est de la bonne :
"L'installation est une représentation populaire. Les trois éléments qui la composent - le fleuve, le choeur et le son - transforment le lieu en espace sacré. Le spectateur accepte la convention du rite et idéalement étend la dimension même du choeur.
L'universalité de la situation est simplifiée par la contemporanéité des matériaux, comme si nous réussissions à regarder le présent en réduisant le temps qu'il contient. Le brouhaha de fond des jeunes filles, visualisées par l'artiste dans le dessin mural réalisé devient le grondement du fleuve, transformant l'eau en son et le fleuve en être."
Reprenons pas à pas ce pamphlet d'ésotérisme pur qui confine au grandiose, reléguant le Manifeste du surréalisme au rang d'une mauvaise chronique people dans Closer.
L'installation est une représentation populaire.
Je crois qu'il manque des mots dans cette phrase. Une
représentation populaire vous avez dit ? Populaire
dans quel sens ? Je pose la question parce que ce mot en a plusieurs qui ne recouvrent pas exactement la même chose. Populaire au sens de "
qui appartient au peuple" au quel cas on devrait se reconnaitre dans la mise en scène ? Hum, non... pas vraiment. Le linoleum, désolé, c'est nase et moi pas plus que mes coreligionnaires ne nous sommes reconnus là dedans. Ou alors populaire au sens de "
qui est accessible au peuple" ce qui n'est guère flatteur pour le peuple. Le peuple - que dis-je, la plèbe ! - serait-il à ce point indigent qu'il faille - par une simplification outrancière - se rabaisser à son tout petit niveau pour qu'il entre dans la compréhension d'une oeuvre que l'on estimera à sa portée ? Merci pour cet élan de considération qui nous ferait presque prendre des vessies pour des lanternes. Du coup l'explication commence par une phrase aussi impénétrable que l'oeuvre qu'elle est censée décortiquer pour nous. Je sais pas mais je le sens assez mal ce coup là. D'ailleurs la suite nous démontre qu'Irène était fort inspirée ce jour là.
Les trois éléments qui la composent - le fleuve, le choeur et le son - transforment le lieu en espace sacré.
Ha bon ? J'ai du manquer un paragraphe là... Attendez je relis. Bé non... j'ai rien manqué du tout. Alors là, faut qu'on m'explique un petit peu, j'ai franchement du mal à suivre. Pourtant j'y mets toute ma bonne volonté. Je ne comprends pas en quoi un fleuve (même stylisé par des morceaux de linoleum marronnasses), un choeur (des silhouettes sur un mur) et du son mis ensemble auraient la vertu de se transsubstantier en espace sacré. Et d'ailleurs, que vient foutre le sacré ici ? Parce qu'à ce compte là, prenons l'exemple volontairement trivial des pissotières publiques : de l'eau qui coule, des gens qui pissent ensemble, et parfois quelques sifflotements joyeux qui viennent ponctuer cette belle cérémonie, tous les ingrédients sont réunis. En voilà une belle cathédrale !
Le spectateur accepte la convention du rite et idéalement étend la dimension même du choeur.
Ok pour la fin : en me plaçant comme spectateur, j'agrandis l'espace de l'oeuvre en m'intégrant - à l'insu de mon plein gré - dans ce choeur virtuel, et alors même que je reste silencieux. Mwoué, admettons. C'est peut être la partie la moins capylotractée de tout le livret. Faisons preuve de magnanimité envers Irène pour cette fois. La pauvre avait dû fumer son montblanc.
En revanche, l'affirmation selon laquelle j'accepterais la "convention du rite" me laisse totalement circonspect. En effet, sachez tout d'abord, chère Irène, que
silence ne vaut pas acceptation. Le fait de me placer en observateur ne me conduit pas
de facto à me positionner en acteur d'une situation bien particulière qu'est celle du rite. D'ailleurs je note l'expression "convention du rite". Mais de quelle
convention parlons-nous ma chère Irène ? Et de quel rite ? Si j'en crois mon dictionnaire, le
rite dans son sens le plus large, désigne un ensemble de pratiques réglées ayant un caractère sacré ou symbolique. Quelles sont alors les règles de ce rite ? Quel en est le rituel ? Se réunir autour de confettis en linoleum pour marmonner tous ensemble des borborygmes incompréhensibles ? Mais oui mais oui... et le raton laveur il met la tablette de chichon dans le papier hallu !
Vous croyez avoir atteint le somment ? Que nenni. Un bon conseil : bouclez votre combinaison en néoprène, on va franchir le mur du çon.
L'universalité de la situation est simplifiée par la contemporanéité des matériaux, comme si nous réussissions à regarder le présent en réduisant le temps qu'il contient.
Oui, je vous avais prévenu... Ca grimpe très fort. J'ai mal à la tête. Vite un aspirine...
Alors le linoleum en termes de matériau contemporain, on repassera ! Ensuite le caractère universel de la situation, excusez moi mais je pige pas. Je sais pas vous mais personnellement me retrouver nez à nez avec un fleuve qui parle et du linoleum éparpillé, tout en ayant conscience de réduire le volume de temps contenu dans le présent, j'avoue que ce sont des expériences encore inédites...
En réalité, j'ai peur de comprendre tout à coup : Irène et des copines à elle se réunissent régulièrement dans un hangar agricole et là toute la nuit elles sniffent de la colle en mâchouillant des morceaux de linoleum, bercées par de la musique d'un autre monde tellement hardos que même au technival il n'en ont pas voulu. Et là, forcément, elles réussissent à "
regarder le temps présent en réduisant le temps qu'il contient". Parfois elles s'amusent à démontrer le
dernier théorème de Fermat en gobant des shots d'acétone et de ricoré. Une vraie junkie cette Irène...
Le brouhaha de fond des jeunes filles, visualisées par l'artiste dans le dessin mural réalisé devient le grondement du fleuve, transformant l'eau en son et le fleuve en être."
Voilà ce qu'il se passe quand on sniffe de la colle à linoleum : on voit des choses bizarres... D'autres qui sniffaient du
cactus hallucinogène voyaient des mouches bourdonnantes et des anneaux partout. Elle elle voit un mur qui parle et un fleuve vivant. Ben oui. Il paraît que les plus grands artistes plongent dans la drogue, que ça stimule leur créativité. Regardez par exemple Jim Morisson, John Lennon, Kurt Cobain... dans la drogue. Regardez inversement Lara Fabian : elle ne se drogue pas !
Au final cette expo était davantage à visiter pour son livret que pour ses oeuvres, un peu décevantes comme je l'ai déjà expliqué car le lien avec l'eau nous est apparu très lointain. Surtout pour cette pauvre Irène qui - elle - n'a pas du en boire souvent, de l'eau !