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  • 28 octobre 2020

    Inktober avec un clavier #28 Flotter

    « Tu veux ton bateau, Georgie ? » fit le clown avec un sourire.
    George lui sourit à son tour ; il ne put s’en empêcher. C’était le genre de sourire auquel on ne pouvait faire autrement que de répondre. « Oui, bien sûr, je le veux.»
    – Bien sûr, je le veux ! » fit le clown en riant. Voilà qui est bien dit, très bien dit ! Que penserais-tu d’un ballon ?
    – « Eh bien… oui ! » Il tendit une main hésitante, puis se reprit. « Je ne dois pas prendre les choses que me donnent des étrangers. C’est ce que Papa m’a dit.
    – Ton papa a parfaitement raison, admit le clown du fond de son égout, toujours souriant.
    (Comment ai-je pu croire, se demandait George, qu’il avait les yeux jaunes ? Ils étaient d’un bleu brillant et pétillant, comme ceux de sa mère ou de Bill.) Parfaitement raison. C’est pourquoi je vais me présenter. Georgie, je m’appelle Mr. Bob Gray, aussi connu sous le nom de Grippe-Sou le Clown cabriolant. Grippe-Sou, je te présente George Denbrough. George, je te présente Grippe-Sou. Eh bien, voilà, nous ne sommes plus des étrangers l’un pour l’autre. Pas vrai ? »
    George pouffa. « C’est vrai. » Il tendit de nouveau la main, et de nouveau la retira.
    « Comment t’es descendu là-dedans ?
    – La tempête nous a balayés, moi et tout le cirque, répondit Grippe-Sou. Ne sens-tu pas l’odeur de cirque, Georgie ? »
    Georgie se pencha. Ça sentait les cacahuètes, les cacahuètes grillées ! Et le vinaigre, ce vinaigre blanc que l’on verse sur les frites d’une bouteille avec un petit trou ! Ça sentait aussi la barbe à papa et les beignets frits, tandis que montait, encore léger mais prenant à la gorge, l’odeur des déjections de bêtes fauves. Sans oublier celle de la sciure. Et cependant…
    Et cependant, en dessous, flottaient les senteurs de l’inondation, des feuilles en décomposition et de tout ce qui grouillait dans l’ombre de l’égout. Odeur d’humidité et de pourriture. L’odeur de la cave.
    Mais les odeurs du cirque étaient plus fortes.
    « Tu parles, si je les sens ! s’exclama-t-il.
    – Tu veux ton bateau, Georgie ? demanda Grippe-Sou. Tu n’as pas l’air d’y tenir tant que ça », ajouta-t-il en le soulevant avec un sourire. Il était vêtu d’un ample vêtement de soie fermé d’énormes boutons orange ; une cravate d’un bleu électrique éclatant pendait à son cou, et il avait de gros gants blancs comme ceux que portent toujours Mickey et Donald.
    « Si, j’y tiens, dit George, toujours penché sur l’égout.
    – Veux-tu aussi un ballon ? J’en ai des rouges, des verts, des bleus, des jaunes…
    – Est-ce qu’ils flottent ?
    – S’ils flottent ? » Le sourire du clown s’élargit. « Et comment ! J’ai aussi de la barbe papa… ».
    George tendit la main.
    Le clown la lui prit.
    Et George vit changer le visage de Grippe-Sou.
    Ce qu’il découvrit était si épouvantable qu’à côté, ses pires fantasmes sur la chose dans la cave n’étaient que des féeries. D’un seul coup de patte griffue, sa raison avait été détruite.
    « Ils flottent… », chantonna la chose dans l’égout d’une voix qui se brisa en un rire retenu.
    Elle maintenait George d’une prise épaisse de pieuvre ; puis elle l’entraîna dans l’effroyable obscurité où grondaient et rugissaient les eaux, emportant leur chargement de débris vers la mer.
    George détourna tant qu’il put la tête des ultimes ténèbres et se mit à hurler dans la pluie, à hurler inconsciemment au ciel blanc d’automne qui faisait ce jour-là comme un couvercle au-dessus de Derry. Des cris suraigus, perçants, qui tout au long de Witcham Street précipitèrent les gens à leur fenêtre ou sous leur porche.
    « Ils flottent, gronda la voix, ils flottent, Georgie, et quand tu seras en bas avec moi, tu flotteras aussi… »
    L’épaule de George vint buter contre le rebord en ciment du trottoir, et Dave Gardener, resté chez lui à cause de l’inondation au lieu d’aller travailler comme d’habitude au Shoeboat, ne vit qu’un petit garçon en ciré jaune qui hurlait et se tordait dans le caniveau, tandis que de l’eau boueuse et écumante transformait ses cris en gargouillis.
    « Tout flotte, en bas », murmura la voix pourrie et ricanante ; puis il y eut soudain un bruit affreux d’arrachement, une explosion d’angoisse, et George Denbrough perdit connaissance.

    Stephen King, Ça, Albin Michel, 1988
    Première Partie "Tout d'abord, l'ombre", Chapitre 1er, pp. 18-19. 

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